Va-t-on assister à des recompositions à gauche, dans les mois ou dans les années qui viennent ? Sans doute le faudrait-il. Peut-être n’y aura-t-il que des changements de direction, au PS par exemple, pour le meilleur ou pour le pire. Quoiqu’il en soit, il faudra surmonter la paralysie idéologique, qui semble la principale cause des 3 défaites successives de la gauche aux élections présidentielles.
Le phénomène défaitiste semble presque structurel : même dans des circonstances défavorables à la droite depuis 2003, les voix des gauches, ou disons plus simplement les voix de la gauche regroupée au 2nd tour, dans la logique de la Vè République, ont donné un bien décevant pourcentage. C’est globalement que l’adhésion à la gauche a été faible. Le PS a surtout capté les électeurs effrayés d’un nouveau 21 avril, mais aux dépens des autres formations de gauche, qui n’ont pas capitalisé des électorats un minimum conséquents. On regrettera qu’en outre, cette fois conjoncturellement, les candidatures à gauche en 2007 aient particulièrement incarné médiocrité théorique et insuffisance programmatique.
Pour remédier à cela, les artifices rhétoriques, les crispations idéologiques et les postures faciles devront être dépassées. L’étiquette sociale-démocrate, assumée ou honnie, ne renvoie par pour le moment à un contenu explicite. La dénonciation du social-libéralisme ne désigne rien de bien défini : s’il s’agit, comme l’ont fait les textes des collectifs antilibéraux de refuser non seulement la logique d’accompagnement, mais aussi toute adaptation à la mondialisation libérale, elle risque de réduire la gauche et son action effective à peu de chose. L’opposition des bons réformistes aux mauvais révolutionnaires, qui préfèrent de plus en plus se référer à leur radicalité, n’a plus grand sens et ne permet pas d’identifier des lignes politiques nettes.
Que l’on se dise social-démocrate, socialiste, républicain de gauche, antilibéral, communiste, réformiste, révolutionnaire, radical… reste secondaire, tant que ces termes n’indiquent pas d’une part, des contenus doctrinaux et programmatiques complets, distincts et honnêtement présentés, d’autre part ce que l’on veut défendre, changer ou transformer. Ils ne peuvent servir de référence à une majorité de nos concitoyens, qui se déterminent sur ce qu’on leur dit et ce qu’on leur propose, en fonction de cultures politiques plus ou moins enfouies.
Des prétendus « réformismes »
Ne nous attardons pas ici, ni sur le manque de sérieux dans la conduite de la campagne de Royal, avec ses multiples vides et ses revirements incompréhensibles, ni sur sa stratégie, comble de mauvaise foi, visant à s’emparer dès maintenant de la candidature de 2012. Tout cela est d’abord symptomatique d’une dérive gestionnaire, bureaucratique et carriériste à l’œuvre au sein du PS.
Parti d’élus, de gens qui aspirent à l’être ou qui travaillent pour eux, le PS, par-delà les individualités qui sortent du lot, apparaît comme un parti sans envergure doctrinale, sans programmes, sans projet, sans ambition pour la France en Europe et dans le monde. La candidature Royal est en bonne partie le résultat d’un repli du PS sur lui-même, en décalage avec l’opinion, déconnecté de la société mais aussi de la sphère des idées et de la réflexion, travaillé en vase clos par des faiseurs d’opinion médiatiques (du Nouvel Observateur ou de Libération) qui apparaissent faussement extérieurs. Depuis le tournant de la « rigueur », au début des années 80, le fonctionnement du parti ne permet plus de faire émerger un intellectuel collectif et de définir ce que devrait être une gauche de gouvernement, capable à la fois de remporter l’élection suprême, de transformer la société et de se maintenir au pouvoir.
La rénovation dite sociale-démocrate ou réformiste, que l’on devrait plutôt qualifier de centriste (il n’y a qu’à regarder quelle alliance est évoquée), consiste en réalité à entériner le double résultat de la dérive du PS : l’alignement entier sur l'orthodoxie économique néoclassique ; et comme seule marque progressiste, la substitution des politiques de styles de vie (« life politics ») aux politiques émancipatrices (« emancipatory politic »), théorisée par A. Giddens pour le blairisme.
Engagé dans cette voie, malgré les possibilités de refondation portées par des courants restant minoritaires, le PS n’a pu et ne pourra conquérir la solidité systémique de la droite (le centre-droit inclus), qui a investi et conquis ce créneau, intégrant même la modernité des life politics, sous l’impulsion notamment de la présidence VGE et malgré quelques relents de morale chrétienne (par exemple lors du vote de la loi sur le PACS, défendu maintenant par Sarkozy).
En espérant que le balancier de l’alternance se remette un jour en mouvement, la solution qui reste serait de liquider le socialisme et de constituer un centrisme consensuel, présenté comme une nouvelle radicalité (par Giddens comme DSK). Le qualifier de social-démocrate, en négligeant les fondements philosophiques et historiques de la social-démocratie, permet de le rendre plus présentable.
Une « radicalité » impuissante
Malheureusement une telle évolution du PS, électoralement inefficace et socialement inefficiente, ne serait pas compensée par le maintien, à sa gauche, d’options qui prolongeraient la voie du néocommunisme et des politiques préconisées par les antilibéraux de toutes sortes. Représentées par 4 candidatures (Buffet, Besancenot, Bové, Laguiller), il paraît incomplet d’interpréter leur faiblesse globale (moins de 10% en tout) comme le résultat de la désunion. Cette interprétation permet de s’exonérer d’une critique sur le fond même des campagnes menées par les uns et les autres.
Ces options ont une conception commune de ce qu’est le mouvement salarié, sans doute au moins autant inconsciente que consciente. Il s’agirait de fonder ce mouvement sur l’opposition Capital/Travail et la lutte des classes, non comme outils, mais comme conditions premières et fins en soi. Dans la lignée d’un marxisme « brut », mécanique, elles confient au rapport de force entre Capital et Travail la mission de produire à la fois le mouvement social et, par sa résolution en faveur du salariat, la société idéale.
Les héritiers des communismes et de l’ultra-gauche, insérés dans la pratique légale de la démocratie, doivent bien formuler des alternatives, établir des programmes, prévoir des mesures nouvelles, bref, proposer des réformes. Mais les réformes réclamées visent moins à produire une mise en œuvre directe sur le monde donné, qu’à mobiliser pour créer le rapport de force qui permettrait ensuite leur application quasi-automatique. Ce qui consisterait au bout du compte, non pas à appliquer des projets pour changer le réel mais à changer le réel pour appliquer des projets. Projets qui peuvent alors se passer d’une recherche véritable d’efficacité et de crédibilité.
Ainsi, résultat d’un esprit révolutionnaire, explicite ou implicite, il faudrait pour pouvoir réaliser les mesures dites « antilibérales », au préalable, un bouleversement politique, économique et social complet en France, en Europe et dans le monde.
La conception de la proposition politique à gauche, doit recouvrir un double aspect : la proposition comme moyen de transformation partielle, effective et directe et la proposition comme moyen d’identification et de conduite de la lutte des classes. Mais cela implique d’une part, de définir précisément à quelle identité et à quelles classes sociales on se réfère, d’autre part de ne pas faire du second aspect le principe supérieur et conditionnel à tout autre, de l’action politique. Sinon, on saute une étape : celle de la conviction des individus, qui permet et entretient les engagements collectifs.
La force de persuasion évidente et réflexe, sur laquelle misent néocommunistes et antilibéraux a disparu, avec l’effondrement du communisme et le manque de nouvelles idées émancipatrices.
On se retrouve avec des alternatives qui n’en sont pas ou plutôt qui ne pourraient aller de soi qu’une fois gagnée une alternative globale : le renversement du capitalisme, la destruction de la propriété privée et du Marché. Alternative globale, dont les mots pour la décrire et les objectifs empruntent pour l’essentiel au marxisme du XIXè siècle ou au communisme du XXè siècle, et qui n’ont pas été sérieusement réexaminés et repensés.
Le « programme » (125 propositions) des collectifs antilibéraux est en cela exemplaire. La réponse aux dysfonctionnements du marché repose sur la création systématique de services publics, conçus moins pour garantir l’intérêt général que pour remplacer le credo des nationalisations. La satisfaction des besoins sociaux apparaît comme un alignement de revendications, séparé d’une réflexion approfondie sur le cadre productif et institutionnel, lui-même uniquement présenté en terme de critique, de dénonciation voire de négation. Le financement des dépenses sociales et publiques est un pur calcul « statique » tourné entièrement vers la taxation du Capital et des plus riches, sans réflexion sur la croissance et sur le système fiscal.
Le cogito de la gauche, à méditer par Madame Royal… et d’autres : je pense donc je gagne
La proposition politique, sensée pour les uns comme pour les autres, faux réformistes ou radicaux impuissants, partir du plus près des besoins des gens, n’apparaît reliée ni à un idéal mobilisateur adapté au présent, ni à des réformes changeant partiellement, mais réellement, la vie et l’ordre social.
Soit les réformes deviennent des éléments abstraits car conçus et perçus comme irréalisables, pour d’autres objectifs restant opaques. Soit les réformes restent des éléments marginaux d’une politique de gestion de l’ordre social donné, plus ou moins modernisé par les politiques de styles de vie. Soit la gauche occupe un terrain qui continue de s’effriter sous ses pieds. Soit la gauche occupe un terrain qui n’est pas le sien et qui est déjà occupé.
Il faudra d’abord réinventer pour convaincre et, en même temps seulement, recréer un rapport de force social favorable à une majorité du salariat et non à une classe salariale homogène et globale.
Ne nous y trompons pas, le but ici n’est pas de reprendre le thème de l’introuvable troisième voie entre socialisme « réel » et capitalisme. Les choses ne peuvent même plus se poser en ces termes. La première condition à toute réflexion et à toute existence est qu’à gauche, on trouve des solutions pour retrouver le cœur et l’esprit de la majorité, sur la plus grande durée possible. La conviction semble aujourd’hui le premier des besoins du citoyen.
Reste la question : quels possibles ? La difficulté à en établir vient sans doute moins de sa complexité intrinsèque et des contraintes extérieures que d’une panne de la réflexion et de la volonté des partis et groupements politiques de gauche. On pourrait dire cela aussi des syndicats… Cela montre en même temps qu’il faudra bien s’y remettre.
SB
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