Dans un ouvrage récent, Michel Winock[1] rappelle les circonstances du compromis qui aboutit à la rédaction de la Constitution actuelle de la France : l’essentiel étant acquis, un exécutif fort, le « bicéphalisme gouvernemental » que représente la présence aux côtés d’un Président de la République, élu au suffrage universel, d’un Premier ministre chargé de conduire la politique du pays en s’appuyant sur une majorité parlementaire, fut géré en fonction des circonstances… et de la qualité des protagonistes. Pour De Gaulle, « le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’Etat ». Jacques Chaban-Delmas, remercié par Pompidou après un vote de confiance de l’Assemblée, expérimenta à plein l’idée que le Président se faisait du rôle de chacun dans la dyarchie.
La cohabitation, inconcevable pour De Gaulle, a été mise en œuvre deux fois par Mitterrand comme Président (1986-88 et 1993-95) et deux fois par Jacques Chirac (comme Premier ministre en 1986-88 puis comme Président entre 1997 et 2002). Cela a permis de mettre en évidence la plasticité de la Constitution. Même si une mauvaise appréciation de l’équilibre institutionnel a conduit à raccourcir le mandat présidentiel de deux ans, en laissant au Président le pouvoir de dissolution de l’Assemblée pour obtenir, à la suite d’une nouvelle élection présidentielle, une majorité conforme à ses orientations. C’est ce que les Français ont fait en 2002, malgré le caractère quasi ubuesque d’une situation qui aboutit à élire, avec 82% des suffrages exprimés, un Président à la suite d’une campagne pendant laquelle aucun débat crédible n’avait été conduit sur le projet de société à proposer aux citoyens : une élection par défaut pour celui qui malgré un pourcentage étonnant fut en définitive le plus mal élu des Présidents de la Ve République.
L’élection présidentielle est donc depuis 1965 le moment décisif de la vie politique française et, en l’état actuel des débats politiques dans notre pays, le parti pris des auteurs est de penser que c’est dommageable pour quelques notions de fond comme la citoyenneté, la proposition de choix réels de société, la nature de l’exercice de la souveraineté nationale et donc le principe de légitimité des élus du peuple.
L’élection du Président de la République au suffrage universel a changé de fait le rôle des partis politiques. L’obsession de l’élection présidentielle, dont dépend et découle presque totalement la vie politique du pays, dans laquelle se cristallisent toutes les ambitions, stérilise l’action des partis. De laboratoires d’idées qu’ils ne furent pas toujours, de syndicats d’élus qu’ils ont eu tendance à demeurer, ils sont devenus machines à collecter des fonds, et la loi leur a fourni les moyens et la caution d’une moralisation difficile mais progressive pour ce faire. Ils sont devenus « star académies » de futurs candidats pour tout type d’élection ou écuries de présidentiables, dans un contexte où l’absence de débats sur l’idée de transformation des rapports sociaux renvoie systématiquement à des formes d’Etat-spectacle et accentue le poids des médias. Médias dont le degré d’indépendance voire de déontologie est inversement proportionnel à leur diffusion et fait du passage au JT une action politique aussi bien pour un ministre que pour les jeunes maltraités des banlieues. Et c’est ainsi qu’on a pu faire, en 2002, une campagne présidentielle sur la peur, le sentiment d’insécurité, en l’absence de tout référentiel politique donnant aux citoyens une grille de lecture de la réalité, une perspective de progrès pour tous, un projet commun voire une utopie fondatrice.
Le blocage de notre société doit beaucoup non pas à la médiocrité personnelle de tel ou tel personnage public, encore que cela puisse jouer dans l’exercice de fonctions à hautes responsabilités, mais à la médiocrité politique banale et collective, au consentement à un inévitable dépourvu de sens, au refus de la critique, au refus de mettre en cause des mots et des concepts captés et détournés de leur sens comme réforme, progrès, intérêt général, loi ...
La majorité UMP représente 27 % du corps électoral : est-il légitime que la seule expression d’environ un citoyen sur quatre permette à des élus si peu représentatifs de la nation, de bouleverser les fondements du pacte social construits en plusieurs décennies, les principes de la solidarité collective et toutes les conditions d’une vie sociale harmonieuse ? Or cette critique là est fort peu audible, comme si des réformes nécessaires ne pouvaient s’effectuer que d’une seule manière et dans un seul sens : s’il en était ainsi, le débat politique serait effectivement mort et les élections deviendraient au mieux un jeu, chacun son tour, au pire un exercice de casting.
Cela ne paraît guère raisonnable et en tout cas ne s’inscrit pas dans les plus hautes traditions de la patrie des droits de l’homme, de la République, de la laïcité et de la devise du fronton de nos mairies inscrite dans la Constitution. Il faut repartir de l’essentiel dans ce débat et pour la campagne qui est déjà ouverte : qu’est-ce qu’un Président ?
La place du Président dans la Constitution
Il n’est pas inutile aujourd’hui de rappeler que c’est par dérogation à la Constitution de 1946 que fut votée le 3 juin 1958 une loi organique confiant au gouvernement, investi le 1er juin, le soin d’établir un projet de loi constitutionnelle. Le titre XI de la Constitution de la IVe République détaillait en six articles (90 à 95) la procédure de révision de la Constitution : résolution adoptée à la majorité absolue des députés, précision de l’objet de la révision, deuxième lecture après un délai minimum de trois mois sauf si le Conseil de la République (Sénat) a adopté à la majorité absolue la même résolution, projet de loi portant révision élaborée par l’Assemblée Nationale, soumission au Parlement, majorité des deux tiers requise en seconde lecture dans les deux assemblées ou référendum (art.90).
La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 précisait que le gouvernement (présidé par le général De Gaulle) mettrait en œuvre les principes ci-après :
« 1° Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ;
2° Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions ;
3° Le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;
4° L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer les libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de l’homme à laquelle il se réfère ;
5° La Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés. »
Un comité consultatif composé notamment d’élus des deux chambres, le passage en Conseil d’Etat pour avis, le recours au référendum pour adopter le projet de loi constitutionnelle étaient également prévus.
Dans la Constitution de la Ve République le titre II est consacré au Président de la République ; pour mémoire le titre I est logiquement dédié à la souveraineté. Les articles 5 à 19 définissent sa mission, les modalités de son élection, ses pouvoirs ; le titre III porte sur Le Gouvernement (art. 20 : « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. »; art. 21 : « Le Premier Ministre dirige l’action du gouvernement »…). La place du Président dans l’ordre des titres de la Constitution montrait clairement que la prééminence passait à l’exécutif : dans la Constitution du 27 octobre 1946, titre I : de la souveraineté, titre II : du Parlement, titre III : du conseil économique, titre IV : des traités diplomatiques, titre V : du Président de la République, titre VI : du conseil des ministres ; dans la Constitution du 4 octobre 1958, titre I : de la souveraineté, titre II : du Président de la République, titre III : du Gouvernement, titre IV : Le Parlement, etc…
Les choses sont claires, il y eut bien en 1958 un changement de régime dans des proportions que les opposants avaient certes pressenti ou dont ils avaient lu l’importance, mais dont les conséquences sur le principe même de la souveraineté populaire n’avaient pas, tant s’en faut, été relevées par tout le monde à l’époque. Ceux qui ont dès 1958 condamné le régime et la dérive présidentialiste que l’élection au suffrage universel allait enraciner, avaient une approche fondée davantage sur un respect strict de la légalité, qui dans les circonstances de l’investiture de De Gaulle pouvait à juste titre être discutable, ou sur le caractère parlementaire du régime républicain que sur ce principe de la souveraineté populaire ; la république par le parlementarisme…telle était leur certitude. Avaient-ils si tort ? La pratique de De Gaulle une fois au pouvoir, allant bien au-delà dans le sens du renforcement de la présidence, que ne le permettait « sa » constitution, leur a sans doute donné raison : par exemple, De Gaulle a imposé l’idée d’un « domaine réservé » au chef de l’Etat (la politique extérieure et la défense), dont on ne trouvera pas une mention dans la Constitution de 1958.
Dans le cadre d’une République, la question fondamentale est toujours celle du respect de la souveraineté populaire, autrement dit la recherche d’un système de délégation du pouvoir qui ne donne pas au mandataire une situation de trop grande sûreté par rapport à ceux qui l’ont élu. C’est cela qui fait qu’un républicain devrait être par principe plus favorable à un régime d’assemblée ou parlementaire (
En effet, un président élu dans la circonscription unique qu’est le pays tout entier devient un personnage littéralement hors du commun, puisqu’il est la seule personne physique élue dans de telles conditions. Cela lui confère immédiatement une espèce d’onction « populaire » qui remplace avantageusement l’onction de la Sainte Ampoule de Reims pour les Rois, d’autant qu’il n’existe pas de contrepoids aux pouvoirs du président dans la constitution de la Ve République. C’est si vrai, que hormis le cas unique du général De Gaulle lui-même en 1969, plusieurs présidents ont refusé de se sentir désavoués par un vote ultérieur des électeurs (François Mitterrand en 1986 et en 1993, Jacques Chirac en 1997, en 2004 et en 2005) ; Valéry Giscard d’Estaing avait même théorisé sur ce point en expliquant que la législature irait à son terme... Sans doute avait-il en tête le modèle américain d’un Président indéboulonnable sauf par la lourde procédure de l’impeachment, face à une assemblée de représentants du peuple qui ne peut être dissoute ; autrement dit ce que certains qualifieraient de séparation parfaite des pouvoirs.
On se retrouve donc en France avec un Président, mis hors de portée par son « sacre » populaire, qui peut ignorer le peuple et tenir le gouvernement en dehors de la réalité politique : les attentes de la majorité et les revendications du mouvement social, quelles que soient la force et les formes de leur expression. A la longue la Ve République rend le pouvoir exécutif, et on pourrait dire le pouvoir tout court (étant donné le poids de l’exécutif dans les institutions) indépendant de la volonté générale, à l’abri derrière une personne, un président inatteignable (politiquement comme judiciairement d’ailleurs). Dans la Cité, le système politique fonctionne à part : le fonctionnement de la démocratie représentative est remis en cause et la transformation sociale devient une tâche de plus en plus insurmontable. On a vu depuis 2003, après le mouvement concernant les retraites et la décentralisation, puis les défaites électorales et successives de la droite (défaite historique dans le cas des élections régionales de 2004), comment les gouvernements UMP (Raffarin puis De Villepin) pouvaient agir systématiquement et durablement contre la majorité des Français.
Les républicains, dès la période révolutionnaire, ont toujours été conscients du danger de la personnalisation du pouvoir et ont cherché pour cela à limiter le poids de l’exécutif, naturellement détenu par un petit nombre de personnes. C’est en ces mots que Robespierre exprimait ce danger (lors d’une intervention le 10 mai 1793, à la Convention) : « Le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale ; mais les hommes ont une volonté individuelle, et toute volonté cherche à dominer. »[2] Que dire de plus aujourd’hui, quand on voit, en particulier avec « l’affaire Clearstream », deux ministres, protégés par le laisser-faire du président, l’un (le premier d’entre eux, Dominique De Villepin) utiliser les moyens de l’Etat pour nuire à l’autre, et l’autre (Nicolas Sarkozy), prendre le ministère de l’intérieur pour se « protéger ». Tout cela pour justement se placer dans la course à la présidence.
On peut certes expliquer qu’aujourd’hui il faut tenir compte de l’état moyen de l’opinion qui peut croire qu’en élisant son maître, elle fait un choix démocratique ; qu’il serait difficile de dessaisir les électeurs d’un droit qu’ils exercent depuis 40 ans passés ; qu’un exécutif mis à l’abri d’un changement soudain de majorité peut entreprendre une action dans la durée, quitte à devoir composer dans une « cohabitation ».
C’est oublier cependant que par les pouvoirs dont il dispose, le Président de la Ve République est un véritable monarque, au sens étymologique du terme. Le raccourcissement à cinq ans de la durée du mandat ne change rien au fond de l’affaire. C’est oublier aussi que les partis concourent à l’expression des suffrages et que la liste des signatures nécessaires pour le dépôt d’une candidature ne permet pas à une concurrence non faussée de jouer dans l’égalité d’accès au statut même de candidat. C’est oublier enfin que les rassemblements nécessaires au second tour, voire le principe d’une union négociée dès le premier tour reviennent à mettre sous le coude un élément clé du respect de la souveraineté nationale entre deux élections.
Le rôle du président : chef de l’exécutif ou référent de tous les Français ?
La véritable ambiguïté dans les systèmes politiques qui prévoient l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel est précisément dans cette question. Si le chef de l’Etat est le chef réel de l’exécutif, il est nécessairement le représentant d’une partie seulement des citoyens, ceux qui ont voté pour lui et, le cas échéant dans la foulée, pour des députés se réclamant du même parti ou de la même coalition. S’il est en même temps le chef de l’Etat, il ne peut alors jouer la moindre fonction d’arbitre, ni attendre de la totalité des citoyens électeurs un consentement à son action par principe, sauf à considérer que les minorités entre deux élections n’ont plus voix au chapitre, ni droit au respect de leur prérogative de citoyens, source pourtant pour chacun et à partir de chacun de la légitimité de la représentation nationale. L’exemple américain du patriotisme viscéral ou supposé acquis dès lors que le Président a été élu, repose d’abord sur une vision complaisamment entretenue du principe « right or wrong, my country ». Il repose ensuite sur l’oubli que si le Président est en quelque sorte sélectionné dans chaque Etat de l’Union par un vote direct, ce sont en fait les représentants des Etats, sur cette base du suffrage certes mais comme représentants d’un Etat, qui l’élisent, afin de tenir compte du caractère fédéral de la Constitution américaine. Nul n’ignore d’ailleurs le refus obstiné d’obéissance aux « fédéraux » de toute espèce que professent un certain nombre d’Etats-uniens attachés à leur Etat, à leur comté, voire au souvenir de la Confédération sudiste.
La Constitution de la Ve République fait explicitement du Président le garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que de la continuité de l’Etat, de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire etc (titre II, art.5), alors que la constitution de la IVe République se contentait d’énumérer la nature des pouvoirs qu’il devait exercer (titre V, art. 29 à 38). Autrement dit le président de la IVe République, du fait de son mode d’élection (par le Parlement) et de la place que lui assignait la constitution, n’exerçait pas la fonction de chef de l’exécutif mais une magistrature morale qui pouvait à bon droit en faire le Président de tous les Français. Ainsi, par exemple, le nombre de tours requis pour l’élection de René Coty en 1953 n’a rien enlevé à l’autorité dont il sut faire preuve, y compris dans la procédure de rappel au pouvoir de Charles De Gaulle[3].
La dimension « historique » exceptionnelle de celui-ci n’a en revanche jamais pu faire que le chef de l’Etat fût considéré par une partie non négligeable de citoyens comme quelqu’un d’autre que le chef d’un exécutif dans lequel ils ne se reconnaissaient pas ; a fortiori ses successeurs. Cela n’empêche pas le système institutionnel de fonctionner. Mais cela confirme que la démocratie représentative ne donne pas à la question de la légitimité des élus une réponse parfaitement satisfaisante d’un point de vue conceptuel.
Le maintien de l’élection du Président au suffrage universel direct exige, nous semble-t-il, une remise à plat et une réécriture des pouvoirs de celui-ci ; il convient donc aussi de réexaminer les rapports entre l’exécutif et le législatif. La condition sine qua non de la réhabilitation du politique passe par une reprise en mains de ses pouvoirs propres par chaque citoyen. Certains ont proposé la « démocratie participative » : celle-ci n’a de sens que par la mise en place d’une possibilité effective de contrôle des élus par les citoyens de manière permanente et non pas simplement à l’issue d’une mandature, ces rouages de contrôle restant à inventer. Et il paraît difficile de réclamer, comme le fait une partie du mouvement syndical, une démocratisation du mode de gestion des entreprises et de ne pas s’interroger sur la prééminence absolue du Président de la Cinquième République, qui n’est liée à aucune sanction particulière de ses errements possibles, notamment à l’encontre de notre « modèle social », alors que l’histoire immédiate et l’histoire récente des deux dernières présidences en offrent de multiples exemples.
Sans entrer dans un débat qui n’est pas le propos de ce livre, la faiblesse de l’Etat - et il faut entendre par-là, la faiblesse de l’exécutif - sous la IVe République, est liée, entre autres raisons, à la difficulté d’établir des majorités stables du fait de la stérilisation d’une partie de la représentation nationale avec en particulier la Guerre froide. Il n’y eut pas d’union de la gauche tout entière sous la Quatrième du fait de la mise hors-jeu du Parti communiste (y compris en partie par lui-même). Autrement dit le renforcement de l’exécutif que Charles De Gaulle avait voulu n’aurait pu être qu’une réponse de circonstances à une conjoncture momentanée de la vie politique française, la sortie de crise que requérait la guerre d’Algérie.
L’exemple de la fonction présidentielle italienne, quelle que soit l’image que les institutions de ce pays peuvent avoir dans le nôtre, montre qu’un Président, chef de l’Etat, élu par les Chambres et depuis quelques années par des représentants des régions, peut parfaitement incarner la continuité de l’Etat, disposer de l’autorité suffisante pour le faire, voire contrecarrer si nécessaire les vues d’un gouvernement qui pourrait avoir la tentation de dénaturer les institutions et leur équilibre. A l’occasion de son départ le Président Azeglio Campi a donné une salutaire leçon en refusant d’être le premier président de la République italienne à renouveler son mandat. Cette question du renouvellement sans limitation n’est-elle pas l’une des anomalies d’un régime vraiment républicain ?
L’élection du Président par un collège de grands électeurs passe par la nécessité d’une entente consensuelle sur le nom d’un candidat ; la majorité qualifiée requise, s’il était jugé utile d’en instaurer le principe, à 66 ou 70% par exemple, rendrait la légitimité d’un tel chef de l’Etat peu contestable, sauf à dénier toute légitimité aux élus du peuple. La nature du rôle du Président éclaire celui du Premier ministre : fusible ou doublon si le chef de l’Etat est le chef de l’exécutif, ou chef de la majorité parlementaire si celui-ci est le référent national.
Il est clair en tout cas que, si le mode d’élection ne devait pas être touché, soit parce que l’opinion ne serait pas en mesure d’analyser une réalité institutionnelle et d’en tirer des conséquences pratiques, soit parce que la pensée unique continuerait d’avoir seule droit de cité dans les médias et ne contribuerait pas à éclairer les Français, soit parce que certains acteurs (individus ou partis) de la vie politique conçue comme une carrière ne le souhaitaient pas, la question des pouvoirs du président serait tout de même posée et ceux-ci ne sauraient rester en l’état : l’exemple funeste de la dernière présidence manifeste clairement que l’absence de contre-pouvoirs est néfaste à un fonctionnement harmonieux de la démocratie. Et à une image crédible de la France à l’extérieur.
Il va de soi que toute modification des pouvoirs du Président entraînerait celle des pouvoirs du Premier ministre et des relations entre l’exécutif et le Parlement. Il est évident également que la construction européenne dans sa phase actuelle, avant que se poursuive ou pas la sanctuarisation constitutionnalisée de pratiques politiques qui précisément ne relèvent pas de la nature d’une Constitution, doit être intégrée à la réflexion collective qui devrait s’ouvrir. C’est aussi le moyen démocratique et républicain de reparler de l’Europe, car en l’absence de peuple européen, ce dont chacun convient, la question est bien celle du cadre pertinent d’octroi de la légitimité élective que des citoyens, dont la nationalité est une composante réelle et forte, peuvent donner à des élus. Pour l’heure la Nation et donc la République française sont en cette matière des cadres indépassables.
Il est évident enfin qu’il est question d’un changement de constitution, pas de sa réforme, et d’une nouvelle République, qui regagne le terrain perdu de la démocratie après le trop long épisode de la « monarchie républicaine » instaurée par De Gaulle, ridiculisée aujourd’hui par un Président incapable de maîtriser des ministres issus de son propre parti. Car la personnalisation du pouvoir entrave l’émergence de véritables choix de société, phénomène par essence collectif, à partir desquels les citoyens pourraient prendre parti, lors des élections d’abord.
La personnalisation favorise finalement la privatisation du pouvoir. En effet, trop de candidats ou de candidates à la magistrature suprême ne cherchent plus qu’à se donner une « image » de présidentiables, relevant de caractères de la personne privée et non publique. Un tel ou une telle montrera sa sincérité, sa franchise et son énergie (s’il le faut en médiatisant une baignade, un jogging ou même un accouchement). Sinon, il ou elle mettra en avant la probité de ses valeurs morales par le biais des « questions de société ». Le reste est de l’habillage programmatique plus ou moins bâclé. Où sont les repères politiques, identifiables par tous, là-dedans ? Jusqu’où cela est-il encore de la politique ? C’est à un candidat de la gauche de gouvernement, qui a vocation à agir par et pour le peuple, de proposer une autre voie que celle-là. La volonté déclarée ou non de changer de République permet d’ailleurs de distinguer ceux qui misent sur le système politique actuel et sur la personnalisation, pour pallier leur faiblesse idéologique et programmatique, de ceux qui veulent vraiment le changer sans doute parce qu’au moins, ils y ont réfléchi à partir des références doctrinales de la gauche : la souveraineté populaire, la citoyenneté éclairée et le sens du Progrès.
[1] WINOCK Michel, L’agonie de la IVe République, Paris, Gallimard, 2006.
[2] Robespierre, Pour le bonheur et pour la liberté, discours, Paris, La fabrique, 2000, p 242.
[3] Winock, op. cit.