Sarkoland ou l’état de droit comme gag...
Quelle peut bien être la finalité de l’ensemble des transformations institutionnelles auxquelles se livrent l’actuel occupant de l’Elysée et ses affidés?
De la ratification du traité de Lisbonne à la pseudo-revalorisation du rôle du Parlement, en passant par l’absence de loi organique nécessaire pour valider les nouvelles procédures de nomination au Conseil Constitutionnel, ce qui est cependant évident, c’est que l’opposition n’a soit pas joué son rôle, soit considéré comme secondaires les changements intervenus qui n’auraient pu l’être sans son consentement lorsqu’une majorité des trois cinquièmes fut indispensable...
Dans un cas il s’agirait d’une complicité, dans l’autre d’une incompréhension des bouleversements recherchés.
Quelle que soit la réponse possible, il s’agit d’un déni des droits du citoyen qui n’a certes pas élu M. Sarkozy pour transformer la République en société anonyme assujettie à une gouvernance entrepreneuriale...
Aucune des réformes proposées et b votées n’a eu pour objet d’approfondir la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs, la démocratie au quotidien.
Les sages du Conseil constitutionnel...
Il est évidemment affligeant de voir un homme qui a pris autant de libertés avec le respect de l’esprit et de la lettre d’un système constitutionnel équilibré, se déplacer au siège du Conseil lorsque l’article 61-1 de la Constitution, voté le 23 juillet 2008 doit entrer en vigueur, pour donner une leçon audit Conseil.
Louis XVI avait répondu un jour à son cousin le duc d’Orléans,» c’est légal, parce que je le veux», ce qui sous le régime de la monarchie absolue était assez juste; mais dans un régime républicain, on ne voit pas ce que le chef de l’exécutif peut avoir à prescrire au pouvoir judiciaire, a fortiori à l’instance gardienne de la Constitution.
De quoi est-il question en fait
L’article 61-1 dit la chose suivante: «Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation».
Une loi organique (10.12.2009) a précisé les conditions de ce renvoi; la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) d’une loi pourra donc être soulevée si la dite loi est en cause dans la procédure en cours, si ladite loi n’a ps déjà été validée par le CC, si la question est nouvelle ou présente un caractère «sérieux». Et comme si cela ne suffisait pas, le filtre du Conseil d’Etat, dans le cas d’une instance dans l’ordre administratif, de la Cour de Cassation dans le cas d’une affaire judiciaire seuls habilités à saisir dans un délai de trois mois le CC empêchera la multiplication des saisines.
Etrange accroissement des droits du citoyen qui est contrôlé a priori par des fonctionnaires ou magistrats dont la nomination est à la signature du chef de l’Etat
Et belle preuve du souci de la souveraineté populaire manifestée une fois de plus par des élus qui, oubliant qu’ils ne sont que mandataires à temps de cette souveraineté, s’en croient les possesseurs. Ne parlons que pour mémoire de «l’anomalie démocratique» que constitue le Sénat.
Toutes ces précautions, indignes d’une démocratie, pour empêcher les citoyens d’exercer leurs prérogatives pleines et entières n’ont pas empêché le président d’invoquer des équilibres entre les différents pouvoirs alors qu’ils sont inexistants aujourd’hui, que son activité principale a consisté à renforcer les prérogatives réelles du seul exécutif, et à prévoir de les renforcer encore...
Inciter le CC à ne pas se transformer en Cour Suprême, modo USA, alors que la loi organique consacrant la mise en oeuvre de la QPC en éloigne sérieusement la perspective et qu’en même temps on assiste à une présidentialisation du régime, relève du cynisme ou de la provocation.
Le grand silence de l’opposition, tous rangs confondus, en dit long sur l’état du débat politique en France et sur les arrières-pensées «démocratiques et républicaines» des uns et des autres... Passe encore pour les courants gauchistes qui ne voient dans les institutions que la matérialisation du pouvoir de classe de la bourgeoisie capitaliste...
ou des citoyens majeurs?
Aucun élément sérieux ne permet de penser que Sarkozy a été élu pour bouleverser les institutions: tous les sondages montrent régulièrement que les Français sont attachés à leur Fonction Publique et aux services publics, à leur protection sociale et aux principes de la solidarité nationale; or ce sont précisément ces éléments là que la majorité installée en 2007, par l’inadvertance coupable d’une gauche déboussolée, remet systématiquement en cause.
Il s’agit de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), dont l’objectif, sous prétexte de rationalisation du fonctionnement de l’appareil d’Etat, accompagne un rétrécissement de ses champs d’intervention au profit du secteur privé, un transfert aux collectivités territoriales en même temps qu’une reconcentration des pouvoirs entre les mains des préfets de région devenus ainsi des proconsuls, avec des administrations arbitrairement rapprochées pour faciliter la «mobilité», les suppressions d’emplois et la casse des garanties statutaires de la Fonction publique.
Hélas, on ne peut dire ni que la droite a inventé la notion d’Etat stratège ni que les partis de gauche ont beaucoup oeuvré pour la défense des services publics en tolérant une définition de la fonction publique réduite à des missions régaliennes, uniquement définies ou délimitées par la jurisprudence de la Cour de justice, au lieu d’avoir été appréhendées dans un débat politique public dans les traités et leurs révisions périodiques.
Mais au-delà de cette réorganisation de l’outil d’intervention de l’Etat, ce qui est franchement attaqué c’est la philosophie politique biséculaire qui a théorisé les principes de la souveraineté populaire, de la séparation des pouvoirs, des droits de l’homme et du citoyen, de l’élection, les principes mêmes de la légitimité du politique et des ses acteurs.
Lorsque Sarkozy crée un Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, outre que le nom même de cette variété monstrueuse de l’imagination des communicants politiques est un pur oxymore, il se réfère à la pensée politique de la droite la plus bornée et dont le film de Tony Gatlif, Liberté, donne un assez bonne image en illustrant le sort des roms pendant l’occupation allemande de la France.
Il n’est pas possible de dissocier le prétendu débat sur l’identité nationale de la politique d’expulsions massives de sans papiers au mépris de tout respect humain.
La tradition française de Fustel de Coulanges à Renan ne pourrait se reconnaître dans les pratiques et les discours, encore moins dans la contradiction entre ces pratiques et certains discours des dirigeants actuels et, souhaitons le, de passage de notre pays.
«Ce qui distingue les nations, écrivait Fustel de Coulanges en réponse à l’historien allemand Mommsen, ce n’est ni la race, ni la langue.Les hommes sentent dans leur coeur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie.»
Le gouvernement français est précisément en train d’empêcher la constitution de ces espérances et de ces intérêts communs en divisant et en opposant toutes les couches, toutes les générations, tous les groupes de la population.
Comme pour imposer cette politique il doit nier les fondements historiques et politiques de l’organisation de l’Etat, il dissimule sous une communication permanente, souvent mensongère et quelquefois contradictoire, les mauvais coup de sape qu’il porte aux équilibres de la nation.
Cela va de questions sociétales comme la solidarité dans le financement des retraites, rémunération continuée du travail salarié pour l’écrasante majorité des Français, à la politique du service public de santé, artificiellement confronté à la concurrence d’un secteur privé privilégié, en passant par la diminution constante de l’offre de formation dans le service public d’éducation pour les tranches d’âge relevant de la scolarité obligatoire, en généralisant les inégalités territoriales à une reprise en mains sans préoccupation démocratique des appareils judiciaires et policiers et sans le moindre souci de la séparation des pouvoirs, sans laquelle comme le disait Montesquieu, un peuple n’a point de constitution.
L’exemple de la Justice
L’état lamentable et franchement déshonorant pour les responsables publics des prisons françaises, les conditions exorbitantes du droit commun européen des gardes à vue, l’affirmation par une culture du résultat dans l’évaluation de l’efficacité policière qu’un citoyen est d’abord un suspect en puissance, tout cela, qui suffirait à indigner les légistes des Lumières, va être aggravé par une réforme judiciaire qui, après le vote de lois «sécuritaires» scandaleuses aux yeux même du principe de l’excuse de minorité, de l’individualisation des peines voire de la commission même d’un délit ou d’un crime, a commencé par la liquidation physique de tribunaux de proximité et va se poursuivre par la suppression du juge d’instruction indépendant, remplacé dans l’enquête par un Parquet soumis à l’autorité du ministre, sans que la présence des avocats soit assez précoce et suffisamment durable pour que les témoins interrogés et les mis en examen soient traités essentiellement comme des personnes et d’abord comme des citoyens nantis de droits irréfragables.
L’affaire d’Outreau, le plus grave dysfonctionnement et trop peu sanctionné dans ses auteurs de la justice française depuis Vichy, avait abouti à la mise en place d’une commission d’enquête et de propositions constructives; loin de saisir l’occasion, le pouvoir sarkozyen a voulu jeter le bébé avec l’eau du bain pour avoir un appareil judiciaire totalement soumis. Personne, sauf des thuriféraires stipendiés, ne peut y voir le moindre souci d’assurer une meilleure administration dans l’intérêt de la totalité des citoyens et du corps social français. Quelques procureurs, chefs de Parquet ont donné récemment une éclatante démonstration de ce qu’il adviendra pour un justiciable «ordinaire» en matière de garantie d’un procès équitable.
Cette politique négatrice des droits des individus n’est ni républicaine dans son principe, ni démocratique dans sa pratique. Elle en est même la négation. Continuer dans cette voie, c’est mettre la France au ban des nations civilisées.
Il est temps qu’un renouveau de la pensée et de la pratique politique permette de sortir d’une nasse dont les seuls bénéficiaires réels se résument aux 98 personnes qui détiennent 43% des droits de vote dans les CA des entreprises du CAC 40, à quelques stars du spectacle, du sport, ou des professions libérales, à des expatriés fiscaux et aux parasites et intermédiaires qui gravitent autour d’eux.
Cela en effet, ce n’est pas la France.
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