Intervention au colloque « Collège »
organisé par le SNES-FSU les 5 et 6 avril 2011
Denis PAGET
Deux années de réunions, de stages, de colloques divers avec de nombreux enseignants de collèges et de lycées m’ont montré à la fois l’ampleur des difficultés professionnelles rencontrées dans les collèges, les découragements qui en résultent, les ruptures et les souffrances qu’elles entraînent, mais aussi l’extraordinaire vitalité d’un corps professionnel qui se fait toujours une haute idée de ses missions et qui fait face à des situations parfois proches de l’implosion avec un professionnalisme étonnant.
C’est à partir de ce double constat que je voudrais évoquer devant vous les problèmes du collège en m’efforçant surtout de poser les questions qui méritent des approches nouvelles.
Ce qui me frappe d’abord c’est la difficulté qu’éprouvent les enseignants à lire les politiques scolaires dans lesquelles ils sont immergés, à y trouver le reflet du sens qu’ils assignent à leur métier, et même souvent la difficulté à construire contre ces politiques des espoirs et des revendications qui justifieraient leurs engagements, et surtout leur engagement professionnel. Ce qui a de la valeur pour eux – la passion pour un domaine de connaissance, l’envie de la partager, la certitude que ce domaine est essentiel à un être humain de notre époque, que ce savoir est émancipateur, formateur et fait gagner en libertés de toutes sortes –, tout cela semble se heurter aux contraintes de prescriptions de plus en plus tatillonnes, dont ils ne perçoivent ni les sources, ni les visées et qui n’intéressent guère quantité d’élèves, déboussolés eux-mêmes par le sens à donner à leurs études.
Le collège issu de la Loi Fillon est devenu le laboratoire d’une sur-prescription neo-taylorienne du travail eneignant et d’un enrôlement précoce des élèves dans les procédures et notions issues du management des ressources humaines.
Nous sommes entrés avec le siècle dans une ère, à bien des égards inquiétante, où les idéaux émancipateurs de l’école ne se réfèrent plus ni à la justice sociale, ni à la reconnaissance des diplômes, ni à une citoyenneté généreuse, ni à l’accès toujours plus large à la culture ; et même si le discours officiel continue de brandir « l’égalité des chances », elle ne constitue plus qu’une rhétorique vide. Les idéaux de l’Ecole se dissolvent dans les théories du capital humain, de l’employabilité, faisant rentrer le collégien dans le processus du marché des compétences, du rapport individuel au travail et à la hiérarchie, via l’évaluation permanente, étendue aux attitudes et « savoir-être », rapportés à une norme sociale et comportementale.
Le collège est désormais le laboratoire de la compétitivité et de la performance : elles constituent sa raison d’être et devraient y puiser son inspiration et ses modes d’organisation. Chaque nouvelle réforme annoncée nous rapproche un peu plus de ce modèle. La création du socle et du livret de compétences et l’extension du programme CLAIR en sont les témoignages les plus récents.
La dangerosité de ces réformes provient de leur capacité d’ alimenter un rapport individuel et anxieux des familles à la scolarité, et d’ absorber en même temps les grands thèmes des pédagogies nouvelles, comme de réhabiliter la pédagogie la plus traditionnelle.
Dans ce nouvel usage de l’école, les enseignants doivent se débrouiller pour atteindre les objectifs fixés avec les moyens qu’on leur compte chaque année un peu plus chichement. On les évaluera non pas au travail qu’ils font – bientôt l’inspecteur ne viendra même plus inspecter pour donner quelques conseils-, mais aux résultats, et au niveau de satisfaction des usagers qui seront bientôt sollicités, prenons-en le pari, sur les prestations des enseignants comme ils le sont sur le réparateur de leur lave-vaisselle. L’extension des mesures de désectorisation sanctionne cette volonté de construire une école soumise aux lois de la concurrence : il suffirait d’évaluer, de faire connaître les résultats aux usagers pour garantir la qualité de la formation par la loi de l’offre et de la demande.
A cette aune, tout ce que des siècles de lutte ont fait pour créer, en faveur des jeunes, un espace libéré des contraintes économiques, idéologiques et religieuses, laisse progressivement place à ce nouvel usage de l’école dont les plus favorisés tireront le meilleur profit et qui laisse aux autres des espaces scolaires dégradés, cumulant toutes les difficultés et offrant une formation de plus en plus médiocre. Les évaluations internationales témoignent de ces inégalités plus profondes chez nous que dans les pays comparables.
Dans ce contexte, la notion de « scolarité obligatoire » est utilisée à de nouvelles fins au sein d’un débat sur une hypothétique inflation des diplômes.
C’est la scolarité obligatoire du décret Berthoin de 1959 qui domine curieusement la loi Fillon de 2005, alors que la loi de 1989 envisageait surtout l’accès au baccalauréat. A partir d’un argumentaire classique sur le déclassement supposé des diplômés, nombre d’experts, de chercheurs et de politiques théorisent l’inutilité d’un allongement des études et dénoncent « l’ inflation des diplômes », à partir d’une évaluation de leur valeur, par analogie avec les masses monétaires.
Cette vision des choses tend à confondre la valeur d’échange et la valeur d’usage des diplômes , comme le souligne Tristan Poullaouec. On ne peut assimiler tous les surdiplômés dans leur emploi à des déclassés : « Que les compétences des jeunes diplômés ne soient pas reconnues par leurs employeurs ne signifie pas qu’elles soient inutilisées dans l’exercice actuel ou futur de leur activité professionnelle ».
La réalité c’est que le diplôme est bien « l’arme des faibles ». En 1970, seuls 19% des enfants d’ouvriers étaient devenus cadre ou exerçaient une profession libérale à 30 ans. En 2003, ce sont 25% qui occupent des positions de ce type. Selon l’enquête menée par Eric Maurin, « en 2008, parmi les jeunes salariés enfants d’ouvriers, près de 32% sont cadres ou profession intermédiaire » ce qui correspond à +19% par rapport à 1982. Mais les choix politiques de ces vingt dernières années ne s’appuient pas sur ces résultats pour les amplifier et les améliorer. On revient à l’idée d’élargir un peu les élites mais au prix d’une limitation de la scolarité des autres. Le recentrage sur la scolarité obligatoire des années 60 proposé par des parlementaires de la majorité et par le HCE, soutenu par les think tank qui prétendent inspirer un programme de gauche, va dans ce sens. L’instauration du socle renoue avec l’élitisme républicain d’une promotion des seules élites à condition qu’on garantisse un minimum aux autres. Mais quel est ce minimum ? Ce n’est même pas l’accès à une première qualification professionnelle.
Une scolarité prolongée pour tous où ce ne serait jamais le tout ou rien.
Il me semble donc qu’il faut disputer avec force contre la naturalisation de la scolarité obligatoire à 16 ans et contre le recentrage des politiques publiques sur cette seule scolarité obligatoire. C’est précisément parce que la scolarité de presque tous les jeunes s’étend bien au-delà de 16 ans qu’il est possible d’envisager de créer un autre rapport à l’école, libéré, au niveau du collège et même du début du lycée, de la pression de l’avenir professionnel, pour réorienter les élèves sur leurs études et sur les contenus enseignés.
Si l’on pense qu’il existerait après 16 ans une scolarité non-obligatoire qui autoriserait une partie de la population scolarisée à ne plus être en formation qu’on dise où se trouveront ces jeunes !
Il n’est plus un parent d’élève qui ne revendique au moins un baccalauréat comme terme des études. Les pouvoirs publics eux-mêmes ont largement effacé les diplômes inférieurs au baccalauréat.
Je pense qu’il est temps de mener une campagne publique, d’une part contre l’extraordinaire régression qui consisterait à créer un établissement unique de la scolarité obligatoire qui nous ramènerait aux écoles primaires supérieures de l’entre deux guerres pour les enfants d’ouvriers, et surtout que l’on centre cette campagne sur une nouvelle structuration des études couplant une amélioration notable de l’efficacité de l’école maternelle et primaire pour faire entrer tous les jeunes dans la culture écrite, avec l’affirmation et la mise en œuvre d’une continuité éducative de la maternelle à la fin du lycée.
Continuité mais aussi étapes, prenant en compte les transformations de la personne de l’enfance à l’âge adulte. Cette continuité et ces étapes n’ont que faire des mauvaises métaphores et des slogans dont on nous rebat les oreilles depuis des générations : le collège n’est pas plus l’antichambre du lycée que l’école primaire n’est l’antichambre du collège ; le lycée n’est pas plus napoléonien que l’école primaire n’est julesferriste.
Chaque marche de la scolarité emprunte un peu à son amont et à son aval dans ses contenus et ses méthodes. On ne voit pas ce que le collège pourrait tirer d’une trop grande ressemblance avec l’école primaire ou avec le lycée.
Le collège est le collège. Les disciplines s’y différencient sans ressembler totalement dans leur contenu et leur approche aux disciplines du lycées, plus nombreuses et plus spécialisées. Si la présence d’enseignants spécialistes d’un domaine de connaissance est la seule garantie d’un travail didactique de haute qualité, cela ne signifie nullement une segmentation cloisonnée des connaissances et encore moins une organistion fragmentée des apprentissages. Jamais il n’a été prouvé que le nombre des enseignants était mécaniquement un facteur d’échec, par contre, la fragmentation des emplois du temps comme celle des compétences, peuvent constituer un très gros obstacle à la mise en œuvre de pédagogies efficaces. Si la présence d’un nombre réduit d’enseignants était un facteur essentiel de réussite, on pourrait s’attendre à ce que l’école primaire soit un haut lieu de réussite scolaire.
La réalité n’est pas celle-là et les facteurs d’échec se trouvent dans des obstacles et des malentendus d’une autre nature. La création de « thèmes de convergences » pour l’enseignement des sciences et des techniques a produit quelques effets positifs mais la déformation de l’enseignement de la technologie a produit des effets ravageurs dont l’onde de choc est en train de se propager aux séries technologiques du lycée. Un enseignant unique de physique, de chimie, de biologie, de géologie et de technologies industrielles et tertiaires garantirait à coup sûr le règne sans partage de l’approximation et de l’ignorance.
Donc, continuité, progressivité éducative, marquée par des étapes ; pas de maillons plus faibles ou plus forts mais une chaîne en tension jusqu’à 18 ans, prenant en compte la diversité des constructions identitaires et des rapports à l’avenir. Ce qui devrait entraîner une révolution : la possibilité, au moins à trois niveaux, de « rejouer les épreuves » manquées de la scolarité (Dubet). D’abord en offrant des possibilités importantes de recommencer au milieu du collège et au milieu du lycée les apprentissages qui ont échoué à un moment donné, et particulièrement ceux de la culture commune ; ensuite en encourageant la validation progressive, reconnue et vérifiée des acquis pour tous ceux qui suivent des trajectoires scolaires erratiques, et peut-être pour tous les élèves, au moins sur la partie « culture commune » de la formation, afin de leur épargner ces parcours décourageants qui consistent à tout recommencer quand on s’est fourvoyé dans une voie, ou à renoncer définitivement à apprendre ce dont on a absolument besoin ; je pense notamment à ces élèves de plus en plus nombreux qui s’échouent en seconde générale et technologique parce qu’ils n’ont pas obtenu la formation en lycée professionnel qu’ils souhaitaient, qui parfois redoublent sans augmenter leurs chances d’aller là où ils veulent et qui finissent par s’évaporer.
Enfin il faut donner la possibilité de rejouer les épreuves scolaires par une mission nouvelle du système éducatif qui consisterait à reprendre en formation les adultes jeunes ou moins jeunes qui voudraient retenter l’épreuve de la qualification diplômante – mission non pas en marge comme c’est le cas aujourd’hui du travail de la MGI et des PAIO au travers du maquis des contrats aussi inefficaces qu’éphémères -, mais mission essentielle, qui doit concerner tous les ans 120 000 jeunes ayant échoué ou ayant abandonné leurs études secondaires. Disons aussi en passant que leur ouvrir le droit au RSA pourrait en faciliter la mise en œuvre.
Notre système est aujourd’hui trop rigide pour qui ne se moule pas dans les parcours convenus ; les « blessures scolaires » sont profondes et définitives et s’ajoutent aux blessures sociales et familiales dont sont toujours victimes les élèves décrocheurs. Elles les éloignent pour longtemps et souvent définitivement de l’envie d’apprendre.
Eveiller la passion d’apprendre
Le dispositif de rationalisation technocratique présenté par le socle et le livret personnel de compétences ne constitue aucunement un moyen de lutte contre l’échec scolaire. Au contraire, il fait perdre le sens des apprentissages par la fragmentation des connaissances, soit en les réduisant aux seules compétences évaluables, de basse intensité, soit, au contraire, en érigeant en compétences des combinaisons complexes, exigeant des opérations intelletuelles et des connaissances qui ne peuvent être acquises qu’au terme de la formation. Qu’on mette, par exemple, en parallèle le fait de savoir recopier un texte sans faute, de mémoriser quelques dates, avec la maîtrise des notions d’unité et de diversité des êtres vivants. Le socle érige les attitudes et les comportements en compétences sociales et individuelles, passives et normatives, qui éloignent l’école de l’objectif de former des êtres humains doués de culture, de jugement, d’esprit citique, de force symbolique, d’imagination, de capacités d’indignation ou d’enthousisasme, sensibles à l’altérité et au bien commun. Il les rabat sur le conforme plus que sur l’émancipateur.
Loin de constituer une élémentation des savoirs, le socle procède par soustraction au sein de programmes qui ont mis aux oubliettes la vie des disciplines scolaires. Pire, il crée l’illusion que ce sont les disciplines qui seraient des obstacles à l’apprentissage et qu’il suffirait de faire du « transversal » pour accéder à d’improbables compétences générales.
Il en résulte une superposition de deux prescriptions : l’une qui respecte plus ou moins la progressivité des apprentissages disciplinaires ; l’autre qui feint de les ignorer et prive les élèves dont on pense a priori qu’ils n’iront pas au-delà du socle, des connaissances qui les feraient progresser. J’ai retrouvé une partie de ces critiques dans l’interview de Ph. Meirieu mise en ligne pour ce colloque, mais je m’étonne qu’il en tire la conséquence que, malgré toutes ses imperfections, le socle nous rapprocherait des objectifs du Plan Langevin-Wallon. Au-delà de son contenu, il aurait eu une autre signification s’il s’était accompagné d’une scolarité prolongée à 18 ans ; il aurait au moins mérité son nom, alors que, sans cette mesure et comme le dit justement Ph. Meirieu, certains auront le socle mais ne mettront jamais aucune statue dessus !
Je pense donc qu’il faut se battre pour réhabiliter les disciplines scolaires maltraitées depuis des décennies ; il faut les remettre à niveau, mieux les coordonner et surtout les aider à vaincre des obstacles épstémologiques solides dont une partie provient de la façon d’enseigner et une autre de l’évolution des pratiques culturelles de la population, et des jeunes en particulier ; pour que, ce qu’on apprend à l’Ecole, se structure peu à peu en une culture réellement commune, s’assignant non pas la mémorisation d’un patrimoine immuable et uniforme mais le développement de l’ouverture d’esprit, de la curiosité intellectuelle, du goût d’apprendre et de se passionner pour un ou plusieurs domaines.
C’est pourquoi il est urgent de dispenser un enseignement qui éclaire les problèmes du monde contemporain, en le faisant précocement, avec les adaptations nécessaires à l’âge des élèves.
Il est urgent de développer plus précocement les capacités de langage et notamment argumentatives.
Il est urgent aussi de former à un usage raisonné des technologies en en tirant des conséquences sur les activités scolaires elles-mêmes : qu’est-ce que lire, rédiger, s’informer, voir, pratiquer, créer, écouter, expérimenter, fabriquer dans un univers dématérialisé qui mêle toutes les références, sans faire apparaître les différences, les hiérarchies et les valeurs ?
Il est grand temps que l’Ecole forme à un usage rationnel et maîtrisé des écrans et des objets nomades, qu’elle aide les jeunes à sortir de la dématérialisation des choses et des êtres ; plus que jamais elle doit déjouer les pièges de l’aliénation, de la fascination aveugle pour la technique et l’image et former au jugement de valeur, en en rendant les codes intelligibles.
Il est essentiel aussi de renouer avec une diversification des langues, et surtout de celles pratiquées par les minorités, de travailler au dialogue continu des cultures.
Il faut enfin considérer les pratiques artistiques et les activités sportives comme des pratiques culturelles majeures, témoignant le mieux de ce que l’homme a en lui d’infiniment humain.
Ne nous cachons pas que les évolutions très rapides des pratiques culturelles vivantes constituent autant de défis pour le système éducatif. Dans une société où on lit de moins en moins, où l’amnésie et l’éphémère semblent dominer, où la science n’est plus auréolée de l’image du progrès, les responsabilités du système éducatif sont écrasantes et justifieraient à elles seules un soin particulier pour tendre vers une qualité pour tous qui fait cruellement défaut pour les plus faibles mais aussi pour les meilleurs. Cette qualité passe d’abord par le recentrage sur les savoirs profonds, précisément ceux qui échappent à l’utilité immédiate : historiciser les connaissances, décaper les disciplines de leurs gangues d’exercices académiques, retrouver le chemin du questionnement anthropologique.
Les conséquences doivent en être une lutte sans merci contre la hiérarchie des disciplines scolaires et du temps qu’on leur consacre, un souci permanent de mener à bien des activités pratiques dans tous les domaines, une prise de conscience de la maîtrise des écarts naturels qui existent entre les pratiques culturelles vivantes et les pratiques scolaires.
Ce que je propose est donc tout le contraire du repli et du cloisonnement disciplinaire.
Suppression des hiérarchies, nouvelle organisation du travail, dynamiser le collectif.
Un tel projet culturel ne peut se réaliser avec la conception actuelle des emplois du temps, du travail personnel des élèves, des conditions d’enseignement et du fonctionnement des établissements. Il ne peut non plus se réaliser par la course à l’évaluation et par la dégradation de la relation pédagogique.
Passionner les élèves suppose qu’ils entrent dans les problématiques disciplinaires à partir des questions et des problèmes, qu’ils aient le temps de s’y installer, de chercher et de produire. Or, la fragmentation des emplois du temps ne le permet pas ; c’est pourquoi j’ai proposé d’allonger la durée des séquences sans augmenter la durée de la semaine, de construire des travaux moins ponctuels, dans la durée, qui mettent vraiment en débat le groupe et en coopération les élèves entre eux, pour réaliser des travaux dont ils seront fiers et qu’ils pourront montrer ou mettre en ligne dans et hors de l’établissement. Il est toujours difficile de faire venir certains parents dans le collège ; c’est plus facile en leur montrant les réussites qu’en les convoquant pour la litanie des reproches.
J’ai proposé également qu’on rééquilire les horaires nationaux en en profitant pour rééquilibrer la culture commune au profit de l’analyse et de la production d’images, au profit de l’histoire des sciences, de la connaissance et de la lecture de l’espace urbain, au profit de l’analyse des médias, des pratiques sportives, de la conduite des projets techniques.
Il me semble qu’il faut aussi réfléchir au travail personnel des élèves et à son accompagnement. C’est à ce point discriminant qu’il n’est plus possible de le laisser au bon vouloir des familles ou à leur impuissance pour un certain nombre d’entre elles, ni de laisser s’alimenter tout un marché nourri de l’angoisse des familles. Cette aide doit faire partie des obligations du service public et être assuré par des personnes formées et compétentes.
Les professeurs doivent pouvoir s’y investir dans leur service, aidés par les professeurs en formation qui y trouveront une première approche des problèmes didactiques et cognitifs auxquels ils se heurteront forcément dans leur vie professionnelle.
La question reste ouverte de savoir si cette mission ainsi conduite doit modifier ou non la définition du service des enseignants de collège.
Si la liberté de concevoir l’enseignement me paraît entraîner le maintien d’une définition libérale en termes d’heures de cours, la question est posée de coefficienter différemment des heures de suivi personnalisé et d’aide au travail personnel qui ne nécessitent ni préparations ni corrections et dont une partie peut se faire aujourd’hui à distance.
Ce serait aussi un moyen d’alléger le service devant le groupe classe pour les enseignants fragiles ou en fin de carrière. De la même façon, il me semble qu’il faudrait envisager de décompter 1h 15 l’heure de cours en classe complète en collège difficile. Ce serait propre à encourager la stabilité des équipes et à dégager du temps pour le suivi collectif des élèves.
Ce qui est possible avec des étudiants de BTS devrait l’être aussi quand il s’agit des missions les plus délicates du système éducatif. Voilà qui donnerait du grain à moudre pour la négociation syndicale.
Enfin ne faudrait-il pas en finir avec l’autocratie installée et aggravée en prenant au sérieux l’autonomie des établissements. Est-il besoin d’un chef qui préside toutes les réunions et n’en ferait qu’à sa tête ou en application descendante des règles du nouveau management public ? Il existe des systèmes éducatifs où le chef d’établissement est élu par ses pairs et n’exerce cette fonction que temporairement. Est-ce que cela ne changerait pas profondément l’implication des enseignants en insufflant de la transparence, du débat et de la démocratie dans un univers qui prétend former à la citoyenneté alors qu’il fonctionne de plus en plus comme une monarchie absolue qui fait reposer sur les personnels de direction des responsabilités qu’ils ne peuvent et ne veulent assumer.
Mixité sociale
Mais ne nous faisons aucune illusion. Rien ne s’améliorera sans une rupture avec la loi du plus fort, du plus riche, du plus initié qui sait choisir l’établissement le plus protecteur pour son enfant sans scrupule pour tous ceux, les plus précaires, les plus pauvres, les moins initiés qui se retrouvent inévitablement entre eux dans l’impuissance d’eux-mêmes.
Un vrai projet démocratique pour l’Ecole nécessite impérativement un plan de longue haleine pour donner de la mixité sociale à tous les établissements.
Il y faut du courage politique et beaucoup d’explications dont aucun élu local n’a actuellement le courage au niveau d’un département. Mais ce serait l’honneur d’une organisation syndicale comme la nôtre de mener une campagne intensive sur le thème « être entre soi c’est s’appauvrir, être avec d’ autres c’est réussir ». Cela me paraît d’autant plus urgent dans un contexte où la montée électorale de l’extrême droite constitue une menace accrue pour le système éducatif et pour la diversité des jeunes qui s’y trouvent.
C’est dans ce cadre qu’il faudrait repenser l’avenir des établissements de l’éducation prioritaire. Devenus laboratoires des réformes libérales qui renforcent simultanément leur homogénéisation sociale et l’impossibilité pour les personnels qui y travaillent de sortir des difficultés engendrées par la concentration de populations de plus en plus en difficulté sociale, les collèges RAR devenus CLAIR sont maintenant sommés plus que jamais « d’être à eux-mêmes leur propre recours » pour reprendre la formule du ministre le plus détesté de l’éducation nationale. Ils seront désormais placés sous l’autorité d’un chef tout puissant sur les professeurs, et d’un préfet régnant sur les élèves. La volonté politique de limiter l’éducation prioritaire en en sortant les établissements des réseaux de réussite, traduit aussi le cynisme de ceux qui veulent maintenir les collèges des quartiers populaires dans la situation très difficile où ils se trouvent. Le renforcement de l’autonomie pour ces établissements, c’est surtout le renforcement d’un enfermement. Les collèges CLAIR ce sera « surveiller et punir » les élèves et leurs maîtres. Les suppressions de postes en Segpa nous font également toucher le fond d’une politique qui a délibérément choisi de remplacer l’éducation des plus fragiles par du sécuritaire, et qui, au nom de l’intégration des enfants victimes de handicaps, les projette dans des classes surchargées et arrête les contrats des AVS en milieu d’année.
Sans l’objectif d’insuffler de la mixité sociale dans tous les collèges – et si possible dans les villes- , il y a peu de chances que les questions d’apprentissage se retrouvent au centre des préoccupations de ces établissements, débordés par l’immensité de la détresse sociale et le choc des cultures. Même si la mixité ne produit pas mécaniquement de la réussite scolaire, elle a plus de chance d’en favoriser l’émergence que la multiplication des programmes ciblés sur telle ou telle catégorie d’élèves ou de problèmes, ou la pathologisation de l’échec scolaire avec la multiplication des dys-lexies, praxies, orhographies.... qui justifie la mutiplication des programmes individualisés...
Education : pour un dialogue renouvelé école / famille.
Enfin, je ne peux terminer ce propos sans évoquer l’impérieuse nécessité d’approfondir et de renouveler le dialogue avec les familles sur l’éducation. Non pas pour imposer des normes de comportement mais pour que l’Ecole soit vraiment traitée comme un bien commun précieux qui nécessite un accord sur les exigences de socialisation et sur les valeurs politiques et morales qui en fondent l’existence au service des jeunes.
Il est aussi vain de penser que les familles doivent avoir déjà cultivé les qualités de l’élève dans l’enfant, que de penser qu’elles doivent tout déléguer au système éducatif sans se préoccuper de la socialisation et de la transmission.
On a fait croire à trop de parents qu’ils n’auraient plus rien à transmettre et devraient laisser les jeunes s’alimenter au seul groupe de leurs pairs. Il me paraît nécessaire de tout faire pour que nombre de parents retrouvent confiance dans leur pouvoir de transmettre l’histoire familiale, les cultures d’origine, les mémoires historiques et les cultures professionnelles qu’ils connaissent.
Trop de jeunes souffrent de ne pouvoir s’identifier qu’aux jeunes qu’ils fréquentent et de ne se construire qu’au travers de l’image qu’ils se donnent sur « Twitter » ou « Facebook ». Les nombreuses recompositons familiales ne facilitent pas non plus les relations intergénérationnelles et les constructions identitaires. Ces phénomènes placent nombre de nos élèves en situation de fragilité et les rend perméables à tous les mirages et miroirs aux alouettes qui leur sont tendus de toutes parts.
L’Ecole, déjà surchargée de tâches, est contrainte de s’immiscer de plus en plus dans l’intimité des familles pour comprendre et alerter sur l’absentéisme ou le décrochage scolaire.
Le collège surtout ne peut pas agir sans remettre parfois les parents en confiance dans leur pouvoir d’éducation. Et pourtant, contrairement à ce qu’affirment souvent les partisans de la « sanctuarisation » de l’école, dont la nécessité obéirait au principe de protection contre le milieu extérieur, on pourrait affirmer paradoxalement que le système scolaire n’a jamais été aussi « séparé » du monde extérieur. Son mode de socialisation s’est éloigné de celui qui a cours dans de nombreuses familles ; son poids dans les destinées sociales est devenu beaucoup plus lourd qu’à l’époque de la quatrième république où les familles vivaient dans la perception d’une lisibilité du marché du travail qui leur donnaient un pouvoir concret d’action en dehors du système scolaire. Enfin, le système n’établit même plus les ponts que construisaient autrefois les œuvres péri-scolaires (de Queiroz 2000).
Il est évidemment illusoire de croire que l’on pourrait reconstituer un rapport à l’école qui appartient au passé. Mais réaccorder l’école avec le pouvoir éducateur de la famille nécessite une mise à jour par l’explication et le dialogue sur la complémentarité et la cohérence souhaitable de l’éducation privée et de l’éducation scolaire. Etre élève ne se réduit pas à être un enfant à l’école.
Plus que jamais notre idée d’une équipe de suivi de l’éducation, de l’orientation, de la santé et de l’aide sociale, me paraît urgente à mettre en place et à faire réellement fonctionner. C’est pourquoi je propose qu’on supprime beaucoup de réunions inutiles et qu’on institue un véritable conseil en ces matières avec les professionnels compétents, aux côtés des enseignants, pour cerner les difficultés extérieures à l’école mais qui agissent puissamment sur ses missions.
Le dialogue avec les familles devrait également faire l’objet d’une formation approfondie sur la façon de le conduire pour éviter les conflits ou le dialogue de sourd. La faiblesse de l’intervention psychologique dans les établissements et la difficulté à en faire reconnaître l’utilité en symbiose avec l’orientation dans le statut même des Conseilers d’orientation psychologues est révélateur d’un système qui néglige de considérer le rapport aux études, à l’avenir et à soi-même comme un objet de travail avec les élèves et réduit l’orientation à l’acceptation d’un échec. De même, au sein des sciences de l’éducation la domination de la sociologie et l’effacement de la psychologie en dehors des sciences cognitives me semblent devoir être l’objet d’une réflexion des chercheurs.
Voilà donc quelques idées que je soumets à votre réflexion. Elle tente de redessiner un collège moins anxiogène, à la fois plus commun et plus humain.
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