2 Syndicalisme à l'EN (suite de l'étude d'André Dellinger)
1 - L’homogénéité des exécutifs syndicaux : une transposition de la scission dans l’unité préservée
Restés groupés, les enseignants ont en 1948 à installer leur appareil syndical autonome. Le feront-ils dans cet esprit d’unité qui les y a rassemblés ou bien céderont-ils aux fortes pressions extérieures, qui poussent à fractionner les forces syndicales ?
Le congrès du SNI (Syndicat national des Instituteurs) de 1948 adopte une motion BONISSEL-VALIÈRE - du nom de ses co-auteurs, le premier de la tendance Autonome et le second de l’Ecole Emancipée – qui décide que les syndiqués seront désormais appelés à se compter dans des élections où s’affronteront des listes de candidats se réclamant d’une même orientation. La direction syndicale, jusqu’alors issue des délibérations et votes des congrès départementaux et national, sera désormais élue par tous les syndiqués, à bulletins secrets, dans un scrutin de liste à la proportionnelle et à la plus forte moyenne. Les instances délibératives (commissions administratives) seront composées à l’image de ce scrutin proportionnel. La direction exécutive du syndicat appartiendra exclusivement à la liste majoritaire.
Centralisme démocratique ? Les autonomes, de sensibilité socialisante, ne doutent pas de leur audience majoritaire ; ils se donnent le droit d’évincer des postes de responsabilité tout militant, communiste, cégétiste ou autre, qui ne partagerait pas leurs choix syndicaux. Leur volonté d’épuration n’est pas sans retentissement chez les résistants de l’enseignement, qui peu d’années auparavant avaient connu et pour certains subi les radiations des professeurs juifs, francs maçons ou communistes opérées par Vichy.
Le congrès de la FEN adopte la même résolution que la motion BONISSEL-VALIÈRE du SNI et les autres syndicats s’alignent non sans quelques réticences ; par exemple, en 1954, le SNET (enseignement technique) était encore dirigé à égalité par deux co-secrétaires généraux, Philippe RABIER, communiste, et Georges LAURÉ, autonome.
La rupture avec la tradition unitaire se produit dans un climat politique fait d’anticommunisme et d’anti-cégétisme, qui contraste avec la conjonction des forces dans la Résistance et qui déçoit les espérances de la Libération. Des relations se sont nouées dans la clandestinité, qui résisteront aux rivalités politiques et au climat de guerre froide.
A – L’EE empêtrée dans ses contradictions
On comprend que le concours de l’Ecole Emancipée ait paru nécessaire à la majorité autonome. Il fallait présenter sous une apparence pluraliste, voire démocratique, ce qui n’était en définitive qu’une éviction sur critères politiques, ayant pour effet d’enclore désormais la direction syndicale dans un monolithisme de tendance. Les ressources de la sémantique furent mises à contribution : les anciennes directions unitaires étaient « hétérogènes » ; confisquées par la tendance majoritaire, elles deviennent « homogènes », pures de tout « noyautage ».
L’EE justifia son soutien en disant qu’il est conforme au principe de démocratie que la tendance majoritaire dirige seule le syndicat. Position de principe, en vérité ? On put en juger en 1966, lorsque les élections du SNES unifié donnèrent la majorité des suffrages (majorité relative de 42 % des suffrages) à la tendance Unité et Action. L’EE, dont les représentants avaient rencontré discrètement la veille la direction fédérale autonome, refusa qu’U & A accède à la direction du syndicat ; elle fit avec les autres petites tendances en sorte que la direction autonome battue (40 % des voix) reste aux commandes une année encore, jusqu’aux élections de 1967 où U & A obtint la majorité absolue avec 52 %. L’explication que donna de ce revirement son porte-parole Alain BOCQUET était qu’U & A (André DRUBAY) ayant offert le partage des responsabilités (aux principales tendances minoritaires A et C), la nouvelle majorité rompait par là même avec l’homogénéité de l’exécutif chère à l’EE. En foi de quoi la seule façon de respecter ce principe était de maintenir à la tête du syndicat une direction autonome certes battue, déconsidérée par sa conduite désastreuse de la grève administrative, mais qui avait le mérite décisif de prétendre gouverner sans partage. Dans l’ordre des principes de l’EE, l’homogénéité sociale-démocrate de l’exécutif, autrement dit l’anti-cégétisme, primait sur la démocratie syndicale. En 1966 comme en 1948, l’EE ne fit en vérité qu’allégeance à la tendance autonome.
Revirement de l’EE : au sein de la FSU, depuis sa création en 1992, les camarades de l’EE participent aux gestions syndicale et fédérale aux côtés des militants U&A, à la hauteur de leur représentativité. Ce fut une décision courageuse - qui coûta à l’EE une scission -, une évolution heureuse pour la démocratie syndicale, même si elle n’est pas toujours exempte de tentation électoraliste. Ainsi, sur le vote fin 2009 du rapport d’activité fédéral, l’EE déclara comme c’était son droit se séparer des analyses d’U&A fédérale sur trois points précis, qui furent donc soumis au vote chacun en deux options contradictoires A et B. Ces points de divergence réservés, on se serait attendu par différence à ce que l’EE appelât à voter en faveur du rapport d’activité. Or elle n’en fit rien. Si elle n’appela pas ouvertement au vote contre, sa déclaration toute critique sur ce rapport y invita assez clairement.
L’EE éprouve des difficultés à se situer dans ou hors de l’exécutif syndical. Il ne suffit pas pour une tendance minoritaire d’accepter le principe de la cogestion, il lui faut encore en surmonter les difficultés pratiques et les contradictions électoralistes. U&A lorsqu’elle était minoritaire dans les syndicats nationaux et dans l’ancienne FEN avait accumulé une longue expérience en ce domaine.
B - U&A offre la cogestion
L’offre faite par André DRUBAY au nom d’U & A et rejetée par les autres tendances vaut qu’on s’y arrête. Devenue majoritaire, la tendance Unité et Action propose à la principale tendance minoritaire, la tendance Autonome, de co-diriger le syndicat en participant avec elle aux tâches de l’exécutif.
Selon U & A, les divergences d’orientation relèvent des voies et moyens de la stratégie syndicale et non de ses buts. Le sujet de la tactique est donc largement plus ouvert que la définition des revendications. Celles-ci sont votées par le congrès à des majorités qui excèdent généralement – et de beaucoup – l’audience de la motion d’orientation majoritaire. Elles sont la loi du syndicat, tandis que l’orientation appartient à l’ordre des moyens. Les buts étant largement communs, bien plus que les orientations, la cogestion des principales tendances apparaît à U & A comme une condition importante de l’efficacité syndicale.
Les autres tendances pensent au contraire que l’orientation commande les revendications, parce qu’elle les inscrit dans un projet d’école seul à même de leur donner une cohérence : l’école libératrice ou fondamentale pour la tendance Autonome, l’école émancipée et donc émancipatrice pour l’EE, l’école des humanités classiques pour d’autres. Le vote d’orientation, au suffrage universel des syndiqués, épuise la matière du congrès ; celui-ci devrait limiter son rôle à reproduire le vote d’orientation – à quelques compléments ou correctifs près – sur les différents chapitres de la revendication.
Le défaut de cette conception, c’est que l’aliénation du travail, l’insuffisance du salaire et de la pension de retraite, l’alourdissement des tâches, la détérioration des conditions de travail sont des données de l’existence du salarié qui existent indépendamment d’un quelconque corps de doctrine. Prétendre les légitimer par un projet englobant, c’est vouloir soumettre la revendication à un finalisme. Alors l’orientation majoritaire risque de devenir un programme de gouvernement et le congrès, où domine la majorité, d’être traité en parlement croupion. La grande perdante serait la démocratie syndicale.
Ce qu’offrit André DRUBAY, dans la droite ligne de la vocation unitaire de son courant de pensée, c’était la coopération du plus grand nombre de militants - forts de la diversité de leurs orientations représentées dans l’exécutif à proportion de leurs suffrages - dans la gestion quotidienne des affaires syndicales, l’organisation de la réflexion et la conduite de l’action.
Les tendances minoritaires ont préféré installer la nouvelle tendance majoritaire, U&A, dans une position hégémonique qu’ils espéraient rendre bientôt intenable sous leurs coups de boutoir conjugués.
2 – La création de la tendance Unité et Action
L’homogénéité de l’exécutif (du secrétariat national) succède au partage des responsabilités syndicales entre militants de différentes sensibilités ; elle relativise la représentativité de la direction. Elle tend à amalgamer tous les minoritaires dans un concept global d’opposition. Chaque courant minoritaire de la pensée syndicale réagit à sa relégation en précisant sa propre conception du syndicalisme.
A - Le centralisme démocratique
La thèse sous-jacente de la motion BONISSEL-VALIÈRE, c’est que le vote individuel sur les déclarations nationales des tendances est préférable, pour définir l’orientation, aux débats collectifs locaux et aux votes à mains levées dans les établissements, les départements ou les académies. Le processus électoral l’emporte sur la préparation et la tenue du congrès ; une déclaration d’orientation figée, élaborée par l’état-major de la tendance, donne le ton ; la remontée des débats des étages inférieurs vers le congrès national était une phase d’élaboration des positions syndicales ; elle est devancée par le vote d’orientation qui marque la délibération sur tous sujets de son empreinte concurrentielle.
Même un an après avoir perdu la direction du SNES, la tendance autonome affirmera encore sa vocation à gouverner les affaires syndicales : en mai 1968, ses élus démissionnent du BN (Bureau national), en pleine grève générale ; ils refusent de servir de simple caution à une politique syndicale qu’ils désapprouvent (Histoire du SNES d’Alain DALENÇON, tome 2, pages 120 et suivantes, IRHSES éditeur). Ils mènent dans la presse une campagne de dénigrement de la direction U&A, l’accusant d’avoir calqué sa position sur celle de la CGT et conséquemment trahi les intérêts des syndiqués. L’inanité de cette critique en regard des résultats déjà obtenus et des négociations en cours fait qu’ils réintègrent discrètement le BN dès novembre.
Le monolithisme de la majorité autonome constitue une application au monde syndical d’un principe de discipline qui soumet toute l’action du parti politique à la loi de sa majorité : le « centralisme démocratique ». La tendance autonome l’emprunte à la social-démocratie allemande de la fin du 19e siècle : C’est dans cette soumission, pour l’action, à la volonté de la majorité, que consiste la discipline (Dictionnaire critique du marxisme PUF 1985, article Centralisme démocratique de LABICA et BENSOUSSAN, citant Edgar MILHAUD, La démocratie socialiste allemande, Paris 1903). Les partis communistes de la IIe Internationale communiste et du Komintern feront par la suite du centralisme démocratique un principe d’organisation du parti, en l’étendant de l’action à la pensée (interdiction des fractions).
Les confédérations syndicales françaises ne reconnaissent pas les tendances.
La direction autonome de la FEN justifie son centralisme par le verdict imparable des urnes. Mais son adoubement électoral n’éteint pas les critiques des minoritaires, qui lui reprochent son inefficacité revendicative et en attribuent la cause première à son absolutisme de tendance, qui prive la fédération et ses syndicats de nombre de militants éprouvés et estimés.
La direction se voit alors obligée de fonder en principe utilitaire son hégémonie. Les minoritaires ne feraient pas aussi bien qu’elle, à preuve qu’ils n’ont pas une pensée authentiquement syndicale. Pour étayer sa disqualification, chaque syndicaliste minoritaire est étiqueté selon ses attaches extérieures, réelles ou supposées : untel est communiste ou crypto-communiste, tel autre est anarchiste, celui-ci est catholique, celui-là juif et ainsi de suite, aucun d’eux n’étant sérieusement acceptable comme syndicaliste sincère, pour la suffisante raison qu’il a d’autres attaches.
La difficulté de l’étiquetage, c’est la personne humaine ; le communiste, le gauchiste ou le catholique que l’on connaît n’est pas un mauvais bougre, il peut même être un camarade fort estimable. Pour l’évincer des responsabilités, il faut l’affubler d’un stéréotype. Ainsi, un syndicaliste communiste serait en général – pas Tartempion, bien sûr, mais les autres, ceux qu’on ne connaît pas – un agent communiste infiltré dans le syndicat, soumis à la discipline – qui serait de fer – du PCF, lequel serait inféodé à Moscou. Pareillement, le syndicaliste catholique obéirait au Vatican, son activité militante s’inspirerait des encycliques papales, qui lui commanderaient de combattre la laïcité jusque dans les rangs de l’école publique. Quant au syndicaliste maoïste, il serait lui aussi un redoutable agent révolutionnaire de l’étranger, puisqu’il puiserait son inspiration dans le « petit livre rouge » et qu’il porte la stricte veste mao à col militaire droit. Et l’on doit savoir qu’un trotskiste ne voit dans le syndicat qu’une caisse de résonnance où prêcher la révolution prolétarienne.
Mais à faire de chaque militant syndicaliste minoritaire la caricature d’un complice endurci des crimes du stalinisme, de la sainte inquisition, des gardes rouges ou de la bande à Bonnot, les dirigeants autonomes, faux démocrates et vrais collaborateurs de la classe bourgeoise, donnent à voir leur rupture avec les valeurs de la démocratie et la nocivité de leur centralisme bureaucratique.
Et ils sombrent dans le ridicule et la mauvaise foi lorsqu’ils ne font pas mystère de leurs affinités sociales-démocrates (SFIO, UDSR, Parti radical, franc-maçonnerie, PSU, PSA, PS). Ces organisations seraient-elles le grand, l’unique incubateur des vertus syndicales ? Le ridicule est dépassé, l’étiquetage stéréotypé devient d’une évidente absurdité quand deux syndicalistes, l’un majoritaire et l’autre minoritaire du même syndicat, se côtoient au sein du même parti politique ou de la même église ou confrérie.
À cultiver chez les enseignants les réflexes conditionnés par la propagande bourgeoise, à propager cette idéologie de division de la gauche et des forces syndicales, la tendance Autonome ne prend pas assez garde qu’elle la reproduit, qu’elle s’en imprègne en l’adaptant et finalement se l’incorpore.
B – Droit de tendance et démocratie syndicale
En 1948, le droit de tendance n’est que le transposé de la scission syndicale chez les enseignants. Pourtant, il subsiste encore dans la FSU et ses syndicats. Ses caractéristiques peuvent être présentées comme suit.
Un système de type assemblée-gouvernement
- Chaque courant de pensée syndicale a le droit de se faire connaître des syndiqués et de solliciter leurs suffrages lors des échéances électorales
- Les syndiqués émettent un seul vote, portant sur la déclaration d’orientation et sur la liste de candidats de leur choix.
- Les sièges des organes délibératifs (assemblée) sont répartis à la proportionnelle
- La liste majoritaire peut s’attribuer la totalité de la direction exécutive (gouvernement).
Une démocratie sous éteignoir majoritaire
- Traité en citoyen-électeur, le syndiqué possède un droit de vote, mais c’est au prix de sa voix délibérative, et cela sur les deux points décisifs de l’orientation et du choix des dirigeants, ces sujets restant l’apanage des états-majors des tendances (les primaires organisées par quelques partis politiques tendent de combler sur le nom du candidat et son programme ce déficit démocratique)
- Le congrès suit de près les élections (comme en politique les législatives suivent de près les présidentielles) ; il est donc lesté par leurs résultats (de même que l’élection présidentielle plombe l’Assemblée nationale). Dans ce type de démocratie – qu’on peut juger ubuesque – le vote précède le débat et prétend en dicter les conclusions.
Une unité syndicale préservée
Sans la reconnaissance du droit de tendance, la FEN et ses syndicats nationaux auraient probablement éclaté en 1948, entre la CGT, FO et une maigre autonomie. Là réside la fonction unitaire du droit de tendance. Elle a perdu de sa valeur depuis que la FEN a disparu en 1992, la grande majorité de ses adhérents créant la FSU et la minorité se réfugiant dans le SE (Syndicat des Enseignants, qui n’admet pas le droit de tendance, affilié à l’UNSA).
Un risque de sclérose de l’appareil syndical
La tentation est grande, quand on doit se prononcer sur une question délicate, de s’en remettre au réflexe ou à la discipline de tendance.
L’électoralisme imprègne la vie syndicale. La confiance des syndiqués dans leur syndicat est ébranlée lorsqu’ils entendent les minorités faire le procès de la majorité qu’ils ont élue, ou lorsqu’ils se demandent, en pleine campagne électorale, si leurs revendications sont quelque chose de plus que des prétextes à de stériles affrontements.
Une forme de démocratie syndicale qui peut avoir son bon usage
Il paraît vain de vouloir opter dans l’absolu pour ou contre le droit de tendance. Probablement convient-il mieux à un syndicalisme qui, tel celui des enseignants, possède une cohésion professionnelle forte, statutairement assurée, un attachement profond aux principes républicains, un solide esprit de service public ainsi qu’une prédisposition intellectuelle pour la discussion, qu’à une grande confédération syndicale telle que la CGT ou FO, qui a fait une fois pour toutes sa grande déclaration d’orientation lors de scission de 1948 : lutte des classes pour la première, collaboration de classes pour la seconde. Quant à la CFDT, issue par laïcisation d’une CFTC qui s’inspire de la doctrine sociale du Vatican, elle se réclame d’une collaboration laïque des classes.
Sans se prononcer en principe sur un droit de tendance qui lui a été imposé pour écarter ses militants des directions syndicales, la tendance Unité et Action considère qu’il s’agit d’un type imparfait de démocratie syndicale, qui a préservé les enseignants de la scission et qui lui a permis, par un historique retour des choses, de conquérir les directions syndicales. Elle s’efforce, par son comportement unitaire, sa pratique de la cogestion et son esprit d’ouverture, de préserver le régime des tendances de ses tares originaires : l’ostracisme et la sclérose.
C - Les unitaires créent leur tendance
Nombre de militants syndicalistes fidèles aux idéaux républicains, marqués par l’esprit de la Résistance, qu’ils appartiennent à la social-démocratie politique, au parti gaulliste ou centriste, au PCF ou à l’extrême gauche, qu’ils soient chrétiens, juifs, agnostiques ou athées, militants du Mouvement de la Paix ou d’autres organisations ou uniquement syndicalistes, rejettent ce sectarisme autonome qui leur impute à duplicité leurs convictions personnelles.
Au demeurant, même l’affiliation syndicale est double, dans les années qui suivent la scission : ne perdant pas tout espoir en la réunification des forces syndicales, les partisans de la CGT cotisent à leur syndicat de la FEN tout en conservant leur affiliation à la CGT (U&A sera longtemps qualifiée de tendance « cégétiste »), comme d’autres cotisent à la fois à leur syndicat autonome et à FO. La double affiliation est admise, puis tolérée ; sa pratique diminue avec le temps.
Les syndicalistes unitaires répugnent à créer une tendance, ils évitent même de se rencontrer autrement qu’à l’occasion. Mais l’ostracisme dont les frappe la tendance autonome les y contraint ; ils se concertent à l’occasion des congrès, ils entretiennent une correspondance, élaborent des analyses syndicales, proposent des textes et des amendements, presque toujours rejetés par les directions.
Lassés de l’immobilisme de la majorité, alarmés par son incapacité à penser la complexité du monde syndical, contraints de concourir aux élections pour ne pas disparaître des instances délibératives, ils finiront par se constituer eux aussi en tendance.
En préparation des congrès de la FEN, apparaît une tendance dite des Bouches du Rhône, ainsi nommée parce que la première déclaration d’orientation fédérale des unitaires fut l’œuvre de la section départementale des Bouches du Rhône et que l’habitude s’établit chez les unitaires des autres départements d’élaborer avec leurs camarades des Bouches du Rhône une motion d’orientation de portée nationale. Dans les autres départements, on vote pour l’orientation Bouches du Rhône ou pour telle autre motion d’orientation nationale : autonome, EE, … D’autres sections départementales s’y mettent, la motion pédagogique unitaire par exemple devient une spécialité de la Marne. Cette départementalisation des appellations du courant de pensée fédéral constitue un compromis boiteux entre la nécessité de concourir dans des élections nationales et la volonté de rester au plus près de l’expression spontanée et de la libre discussion des syndiqués.
Ce basisme départemental ne correspond ni aux structures, ni aux habitudes des syndicats du second degré. Le courant unitaire porte l’appellation de liste B dans le SNES classique et moderne, où il est de tradition de désigner les tendances par les premières lettres de l’alphabet (la lettre A désignant la tendance Autonome), il a pour sigle UASE (Union pour une Action Syndicale Efficace) dans le SNET technique. Chacune de ces deux tendances a ses dirigeants, son réseau de militants, son fichier de correspondants, sa petite trésorerie alimentée par les dons des adhérents, ses circulaires et son organe de publication, ses réunions à l’occasion des congrès académiques et national. B et UASE fusionneront en 1966, parallèlement à leurs syndicats respectifs, pour donner naissance à la tendance Unité et Action.
3 - À l’épreuve des grands problèmes de société
A – On rêve de réunification
Durant au moins deux décennies, les enseignants tiennent pour provisoires la scission et leur autonomie ; ceux d’entre eux qui avaient connu et apprécié, dans le cadre des UL et des UD (unions locales et départementales de la CGT réunifiée), la coopération avec les syndicalistes des autres branches professionnelles, rêvent de réunification des forces syndicales. Pour les autonomes, le rêve s’arrête à la fondation d’une centrale syndicale réformiste, qui serait le partenaire du patronat et d’un Etat social-démocrate, afin d’assurer la régulation fordienne tripartite de la société française ; le projet s’ébauche au sein du PUMSUD (Pour Un Mouvement Syndical Uni et Démocratique), discret organisme de concertation des dirigeants de la FEN, de FO, de la CFTC, de la CNJA (Centre national des jeunes Agriculteurs), de la mutualité, des cadres et d’autres que rassemble une même option sociale-démocrate : l’économie sociale de marché. Les unitaires dénoncent dans le PUMSUD une tentative de pérenniser la division des forces syndicales en deux blocs antagonistes.
(à suivre...)
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