Rentrée: Syndicalisme à l'Education nationale

Par André Dellinger, ancien sec.nat corpo

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La tendance Unité et Action du SNES

Histoire et actualité

Le syndicalisme français - la FSU faisant exception - n’accepte pas de consentir aux tendances une représentation qui soit statutairement assurée et électoralement mesurée. Plutôt que des courants de pensée alimentant la réflexion de stratégie syndicale, il incline à y voir des fractions qui séparent là où la profession ou la localisation rassemble, qui détournent les énergies syndicales vers le jeu stérilisant des coteries et des ambitions de pouvoir. De nos jours, il refuse majoritairement (CGT= Confédération générale du Travail, CFDT = Confédération française démocratique du Travail, UNSA = Union nationale des Syndicats autonomes et autres organisations syndicales) de reconnaître les tendances. Ces dernières pourtant le traversent, comme en témoignent actuellement les difficultés de la CGT pour la succession de Bernard THIBAUT ou les pertes massives d’adhérents de la CFDT à la suite de son acceptation en 2003 de la réforme FILLON des retraites publiques.

La conséquence de cette défiance, c’est le pluralisme syndical. Des transfuges de la CFDT fonderont le syndicat SUD. L’obstination de l’ancienne FEN à neutraliser l’audience grandissante d’Unité et Action aboutira en 1992 à la naissance de la FSU.

I – Du refus à l’utilité de la tendance

De 1922 à 1936, le mouvement syndical français est divisé principalement en une CGT confédérée et une confédération unitaire (CGT-U). Ni l’une, ni l’autre ne reconnaissent le droit de tendance, pas plus que ne le reconnaîtra la CGT réunifiée à partir de mars 1936. L’accès aux postes de responsabilité se fait par cooptation sur la base des propositions des organes statutaires (sections, syndicats ou fédérations professionnels, unions territoriales), ces propositions étant soumises au vote de l’instance délibérative compétente.

Arrive la scission de 1947-1948. Dans la fonction publique d’Etat, les syndiqués restent les uns à la CGT, comme les professeurs des centres d’apprentissage que regroupe le SNETP (syndicat national des enseignements techniques et professionnels), d’autres partent à FO (CGT – Force Ouvrière, dont la création a été encouragée par les dollars de la CIA, via la centrale syndicale américaine AFL-CIO). Les enseignants répugnent à se diviser ; ne pouvant conserver leur unité en restant à la CGT, ils s’installent dans une autonomie d’expectative, tandis que des chrétiens restent à l’écart dans une CFTC qui affiche sa confessionnalité (Confédération française des Travailleurs chrétiens, qui s’inspire selon l’article 2 de ses statuts de la doctrine sociale de l’Eglise catholique et dont la majorité en 1962 se laïcisera en fondant la CFDT) ; la recomposition du paysage syndical dans la fonction publique s’effectue par pans entiers, les agents d’un service suivant la majorité de leurs élus à la CAP (Commission administrative paritaire), plutôt qu’en raison d’inclinations politiques personnelles ; cet alignement traduit la désapprobation de la base devant les manœuvres scissionnistes ; on craint leurs conséquences sur l’outil syndical et la revendication.

A - La véritable alternative syndicale

D’ailleurs, est-ce encore vraiment du syndicalisme, quand les clivages politiques ou confessionnels l’emportent sur la communauté des intérêts professionnels, quand on subordonne par principe hiérarchique le travailleur au partisan ou au croyant, quand on prétend qu’il n’est à la revendication pas de meilleur accomplissement que sa sublimation par un idéal, quand le syndicat est prié de se dégrader en « organisation de masse » d’un parti ou d’une église ?

La « courroie de transmission » est la métaphore de la mise en tutelle du syndicat. L’histoire du mouvement syndical montre que cette fameuse courroie patine souvent, a ses retours de manivelle, voire qu’il lui arrive de partir brutalement à contresens. Par exemple, Michel ROCARD, président du PSU, intima à ceux des adhérents de son parti qui étaient militants syndicalistes d’U&A l’ordre de rompre avec cette tendance. Pierre ANTONINI, secrétaire du SNES pour l’académie de Montpellier, fit paraître dans la presse un avis qui disait en substance : M. Pierre ANTONINI, sommé par la direction du PSU de choisir entre son appartenance à ce parti ou à la tendance Unité et Action du SNES, informe ses amis et connaissances qu’il n’appartient plus au PSU. La subordination du syndicat contredit sa fonction représentative.

Quant aux véritables choix de l’orientation syndicale, ils se classent entre deux pôles extrêmes : soit on se représente l’entreprise ou le service public comme une communauté où se conjuguent les talents productifs, soit on y voit le lieu de l’exploitation du travail humain (exploitation directe par la propriété privée des moyens de production ou indirecte par un appareil administratif de l’Etat bourgeois). Il n’y a pas d’autre alternative que de s’accommoder tant bien que mal du capitalisme ou de mener contre lui une lutte de longue haleine, qui vise à libérer le Travail du joug du Capital et de tout autre carcan.

Au-dessus d’une société composée de classes sociales les unes dominantes et les autres dominées, il n’existe pas de Juge suprême infaillible, que ce soit le marché ou la divinité ou la doctrine, pas plus qu’il n’est de Grand conciliateur entre les moutons destinés à être tondus et le berger qui les tond. Sous le capitalisme, tout syndicat, que ses membres se recrutent parmi les exploiteurs ou les exploités, autrement dit qu’il soit patronal ou salarial, est toujours amené à opter, par principe intangible ou selon les circonstances, bon gré mal gré, soit pour la collaboration, soit pour la lutte de ces classes sociales. Entre ces deux engagements systémiques, qui visent l’un à humaniser la domination et l’autre à s’en libérer, les déclarations, les décisions, les pratiques, les alliances, les fidélités et les revirements stratégiques ouvrent tout large l’éventail des positions syndicales.

B - La fausse opposition entre masse et combativité sociale

La théâtralité journalistique des grands médias et de leurs experts patentés use d’une autre opposition, entièrement factice. Elle met en scène à l’arrière-plan la masse du peuple, qui serait amorphe par nature, pour la suffisante raison que ses revendications présentent un côté terre à terre et modestement mesuré aux possibilités du moment, ce qui n’a rien de spectaculaire et n’offre pas le moindre scoop ; elle porte à l’avant-scène les minorités agissantes, qui fournissent allègrement, pour peu qu’on les sollicite, l’intrigue douloureuse, l’action retentissante, l’exclusivité héroïque. Dans cette dramaturgie sociale, le rôle du syndicalisme est double : le syndicat représentatif serait inévitablement englué dans le dialogue social, le train-train des accords négociés, il entrerait dans la catégorie inhumaine des appareils d’Etat ou autres « technostructures », tandis que la solitude est le lot inévitable du syndicaliste de lutte des classes ou du petit syndicat révolutionnaire. Tout le drame social est enfermé dans ce dualisme ; des héros populaires luttent contre les routines, les connivences, les raisons d’appareil, voire les trahisons, des représentants du peuple. Patronat et pouvoirs publics n’existent qu’à titre de facteurs d’ambiance, et la crise fournit les sombres décors de la pièce. À ce théâtre bourgeois, certains gauchistes prêtent ingénument leur concours. Qu’on se souvienne du secrétaire du syndicat CGT de CONTINENTAL, traitant publiquement Bernard THIBAUT de racaille. Un millier d’ouvriers menacés dans leur emploi, parce que leur entreprise se délocalise en Roumanie, c’était pour les grands médias une information certes désolante, mais socialement banale, inutile de s’intéresser aux tenants et aboutissants de l’affaire ; mais qu’un représentant syndical de ces ouvriers, militant d’un petit parti qui à l’époque n’avait pas de mots assez durs pour vilipender les directions syndicales, traite de fripouille le secrétaire général de sa propre confédération, voilà de quoi gloser à l’infini !

Ce théâtre-là a pour réplique dans le champ politique l’opposition entre d’une part le militant de terrain, dévoué, désintéressé, humaniste, à vrai dire un doux rêveur ou un saint laïque, et d’autre part un grand élu démocratique qui doit fatalement, pour endosser la stature d’homme d’Etat, avoir le « courage » d’oublier ses promesses électorales et de se salir les mains.

Dès sa fondation, le courant de pensée Unité et Action a rejeté cet antagonisme prétendument irréductible entre représentativité et combativité. Les enseignants savent d’expérience que l’opposition entre l’enseignement de la masse des élèves et la formation des élites est désastreuse sur les deux versants. Unité et Action se prononce pour une école où le dégagement des élites aurait pour solide assise le socle de la promotion de tous. De même, l’indépendance du syndicat, sa fidélité aux revendications, son énergie à les défendre n’ont pas de meilleur garant que sa représentativité. La contradiction bourgeoise entre nombre et qualité traduit la crainte du peuple, elle élève des barrières auxquelles la démocratie syndicale ne saurait s’arrêter.

Unité et Action se définit comme le tenant d’un syndicalisme de masse et de classe : il se réclame de la lutte de la classe des enseignants pour imposer à ses adversaires, la classe capitaliste et ses affidés politiques, sociaux, idéologiques et obscurantistes, le développement de l’enseignement et la valorisation de ses maîtres.