Ci-dessous le point de vue de deux camarades de la FSU
1-L'austérité un programme politique qui menace les peuples et l'Europe
La crise est revenue au galop et des experts nous disent que nous sommes au bord du chaos. Le sort des peuples, le sort de l’Europe aussi sont en jeu. L’heure est grave.
Ce qui se joue dans les semaines à venir est décisif.
Le dogme libéral affiché jusqu’à la Une du journal Le Monde (éditorial du 23 mai) affirme que c’est la faute au peuple de la petite Grèce qui avec ses deux 2% du PIB européen aurait mis au bord du gouffre les grandes puissances d’Europe, un peu comme le « fraudeur » du RSA est désigné comme responsable du trou de la Sécu.
Cette logique du bouc émissaire ne peut masquer l’écrasante responsabilité des gouvernements et des institutions, symbolisés aujourd’hui par la troïka, qui nous ont mené dans le mur.
La nouveauté est que maintenant on est au pied du mur.
La politique de l’austérité généralisée a montré son efficacité dans le creusement des déficits publics, justifiant de nouveaux plans qui s’enchaînent sur de nouveaux déficits. Elle a aussi montré son efficacité dans la baisse sans précédent du niveau de vie des peuples les plus touchés. Voici le peuple grec ramené à son niveau de vie d’il y a dix ans. Le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie prennent le même chemin, en attendant d’autres. Le dogme libéral s’alimente du déni de ces évidences.
Par aveuglement ou par calcul stratégique, des voix extrémistes de plus en plus nombreuses poussent la Grèce à sortir de l’euro, quel que soit le coût économique pour ce pays, le coût social pour son peuple et le coût politique énorme pour une Europe dont il sera crûment affirmé que la solidarité n’est pas une valeur fondatrice, ouvrant la voie par effet de contagion à un délitement progressif et à une vague de réactions national-xénophobes. Complètement indifférent au problème fondamental de la zone euro (une zone monétaire unique sans mécanisme de cohésion et de solidarité), le dogme libéral vante les mérites du chacun pour soi qu’il appelle « compétitivité »
Pour les tenants du dogme, l’essentiel est de disposer de moyens efficaces pour imposer aux récalcitrants la punition de l’austérité. C’est ainsi que depuis qu’elle a prêté en décembre 1 000 milliards d’euros à 1% aux banques, dont même le commissaire Barnier déclare ne pas savoir à quoi ces fonds ont servi, la BCE a discrètement arrêté ses achats de titres publics sur le marché secondaire. Sans doute pour « convaincre » les Rajoy et Monti, confrontés à une forte opposition interne à leur politique d’austérité, que la BCE par sa non intervention avait les moyens de faire pression sur eux en laissant filer les taux d’intérêt à la hausse. Le gouvernement espagnol qui essayait de négocier avec Bruxelles des délais pour la réduction de son déficit public, s’est ainsi trouvé dans la situation
Si la BCE décidait d’acheter directement des obligations souveraines (lors de l’émission et non plus sur le marché secondaire), la spéculation ne pourrait plus s’emparer des titres, on pourrait relativiser l’importance de la crise de cette dette et réfléchir politiquement à ses causes : la baisse délibérée des ressources fiscales, la dérégulation de la finance.
C’est pour la même raison que Merkel refuse les eurobonds, car si les Etats récalcitrants à l’austérité peuvent emprunter via l’émission d’obligations européennes à des taux voisins de ceux de l’Allemagne, les « incitations » à appliquer la potion mère de l’austérité seront sérieusement affaiblies. Cet exemple montre que la condition première pour imposer l’austérité, c’est le rejet de la solidarité.
Les responsables européens n’auraient-ils rien compris ni rien appris des politiques d’austérité conduites au début des années 30, particulièrement en Allemagne, où les mesures déflationnistes du chancelier Brüning ont enfoncé le pays dans la crise et le chômage, avec le résultat politique que l’on connaît ?
Ne s’agit-il pas, plus simplement, du positionnement de défense des prés carrés des classes dominantes qui est à l’œuvre, entraînant l’Europe dans une voie sans issue sinon le chaos, puisqu’il il n’existe pas de sortie libérale à la crise ?
Ceci conduit à nous interroger sur le sens de l’austérité.
Est-ce un moyen (la réduction des dépenses publiques) pour atteindre une fin (l’équilibre des comptes publics) elle-même posée comme une évidence ?
C’est sans doute le cas des vrais croyants du dogme insensibles à l’échec, pourtant lourdement constaté dans le réel, de ces politiques à atteindre leur fin (le déni étant un pré-supposé du dogme) Mais on peut aussi faire l’hypothèse que l’austérité est d’abord un programme politique. Dans ce cas, l’opposition des Merkel et BCE ne s’explique plus seulement par leurs croyances, mais par le fait que refuser d’aller vers le chaos impliquerait qu’ils remettent en cause les principes fondateurs de leur politique : la concurrence comme base de la construction européenne, la supériorité de l’initiative privée sur l’initiative publique,…
Un programme visant à disqualifier la dépense publique au profit de la dépense privée.
Sinon comment expliquer que le Pacte budgétaire soumis à ratification pose comme « règle d’or » que le déficit public structurel soit limité à 0,5 % du PIB. Tout acteur qui investit pour l’avenir s’endette nécessairement car il ne va pas financer ces dépenses par les seules recettes de l’année courante. Si l’Etat ou les collectivités locales ont des comptes équilibrés, cela veut dire que c’est le secteur privé qui investit.
Ce n’est pas une évidence, c’est un choix politique fort
Car le secteur privé investira sur des projets réputés rentables, et comme cette rentabilité est aléatoire surtout sur le moyen et long terme, il recherche des garanties publiques par différentes formules (PPP, garanties par des prêts publics,…). Est-on sûr que c’est ainsi qu’on va financer la transition écologique, la recherche, les besoins en éducation et de santé,… ?
Un programme visant à démanteler la protection sociale, les services publics, la négociation
Dans la novlangue néo-libérale, cela s’appelle « les réformes structurelles ». C’est la contrepartie obligée des « plans de sauvetage » des Etats en difficulté et la partie essentielle des plans d’austérité. Pressés par les réalités politiques et sociales, les partisans du dogme sont prêts à faire des concessions sur d’autres aspects, mais pas sur cela. L’austérité, c’est la fermeture d’écoles et d’hôpitaux, la restriction du droit d’accès à l’éducation, à la santé, la privatisation de services publics, la baisse des retraites. Tout cela au nom du fait que les « caisses sont vides », que le triple A est menacé, qu’ « on ne peut pas faire autrement »
Un programme radical (passer d’un déficit public de 5% du PIB à un déficit nul sur une courte période) un programme qui vise à produire des effets d’irréversibilité et des effets de subjectivité : le fatalisme, la résignation devant une austérité sans fin, la désorientation ….
La nature de l’austérité est un sujet important à discuter car cette analyse renvoie à des orientations stratégiques. Si c’est un programme politique, ce n’est pas la même chose qu’une politique temporaire et réversible (comme il en a existé dans le passé, celle de Barre par exemple), et les plans d’austérité dont sont victimes Grecs et Portugais ne sont plus des mesures regrettables mais une expérimentation de ce qui se fera ailleurs.
La situation est nouvelle parce que les peuples européens rejettent de plus en plus l’austérité soit par des mobilisations sociales qui ont été puissantes dans certains pays, soit par le rejet lors des élections des partis ayant conduit l’austérité, ouvrant ainsi la voie à des recompositions politiques profondes mais encore incertaines. Alors que les partisans du dogme exercent un chantage sur le peuple grec (l’austérité ou la drachme), celui-ci s’oppose majoritairement au mémorandum concocté par la troïka qui lui impose des sacrifices invraisemblables et souhaite rester dans l’Europe, ce qui implique une autre Europe. Cette position, certes encore fragile, montre la voie : les réactions nationalistes et xénophobes ne sont pas inéluctables.
2- Dans ce contexte, quelle est la responsabilité du mouvement syndical ?
Tout programme revendicatif est invalidé par la politique de l’austérité. Porter les mandats qui sont les nôtres suppose aujourd’hui d’impulser (d’animer ? de devenir le moteur du ?) le nécessaire débat citoyen sur les politiques alternatives au dogme dominant.
Aujourd’hui, des « économistes atterrés », d’éminents économistes notamment américains, multiplient les analyses et propositions pour modifier radicalement les politiques libérales : le mouvement syndical n’a-t-il pas un rôle essentiel à jouer, en France et au niveau européen pour transformer en forces sociales ces idées alternatives, tout en travaillant ces sujets dans le cadre syndical ?
N’est-il pas possible d’adopter un tel positionnement en partant de notre champ propre : services publics et fonction publique, la nécessaire réhabilitation de la dépense publique, des droits nouveaux pour le salariat ? Donc une autre politique de croissance et un frein sérieux à la toute
Ne serait-il pas souhaitable que la FSU prenne l’initiative au sein de l’intersyndicale sur ce sujet ?
Le mouvement syndical ne devrait-il pas très clairement affirmer l’impossibilité de concilier croissance et austérité, et produire sur ce sujet un argumentaire , un manifeste public ?
N’est-il pas urgent de manifester notre solidarité avec le peuple grec, non seulement parce que le sort réservé à la Grèce est intolérable sur le plan social comme démocratique, mais aussi parce que c’est en Grèce que se joue aujourd’hui notre avenir commun ?
Comment articuler avec plus d’efficacité notre investissement dans le champ associatif et alternatif ( ATTAC, forums sociaux, etc.) et notre travail proprement syndical ?
Que proposer ? Voici quelques pistes, à débattre, à compléter, à travailler .
Des mesures immédiates pour éviter la chute dans le précipice mais aussi l’irréversible en matière de droits sociaux et démocratiques, soit :
-Stopper la spéculation sur les dettes des Etats et empêcher la sortie de l’Euro de la Grèce. Cela passe par l’achat direct par la BCE de la dette.
-Eviter l’effondrement bancaire européen ( et au-delà, comme on l’a connu en 1929-31 ou en 2007-2008) susceptible de partir de la Grèce, de l'Espagne, voire de l'Irlande, ce qui passe par des formes de contrôles immédiates sur le système bancaires ainsi que et sur le plus long terme, à déterminer, en Grèce et en Europe.
-Procéder aux mesures indispensables pour mettre la finance au pas : séparation des activités spéculatives et des banques de dépôts, interdiction des produits dérivés spéculatifs et du trading à haute vitesse spéculatifs, suppression des paradis fiscaux, taxe sur les transactions financières,...
La question des dettes des Etats
-Faire repousser la règle d’or, et tout retour à l’équilibre budgétaire dans un temps court, objectif impossible à atteindre. Le TSCG – traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ne doit pas être ratifié, et le MES (Mécanisme européen de Stabilité) doit être rejeté.
-Les dettes publiques doivent être d’une façon ou d’une autre restructurées (rééchelonnées, rachetées par la banque centrale, diminuées de leurs intérêts, diminuées grâce à une proportion d’inflation -à condition d’augmenter le pouvoir d’achat des salaires-, voire annulées pour celles qui auront été déclarées illégitimes après audit citoyen).
-revenir sur la contre-révolution fiscale et procéder à une réforme importante visant à taxer les plus hauts revenus et patrimoine, les profits des plus grandes entreprises, s'attaquer à l'optimisation fiscale pratiquée via les paradis fiscaux
Un autre type de croissance
-Jeter les bases d’un autre type de croissance en France et en Europe, fondée sur la transition écologique, la recherche et l’innovation, une nouvelle production industrielle, un ensemble reposant sur les qualifications des jeunes et des salariés ainsi que sur la forte diminution des inégalités et donc un autre partage des richesses.
-Dans cet ensemble, réhabiliter la notion de dépenses publiques (dans toutes ses dimensions : services publics, dépenses sociales, mais aussi investissements) aux dépens du dogme de la supériorité des investissements privés, et penser un autre Etat social.
Une autre Europe
-Reconstruire l’Europe sur d’autres bases économiques, sociales et fiscales
-En assurer un fonctionnement démocratique.
Ceci implique des échanges, des débats, des mobilisations à l'échelle européenne.. La FSU doit s'impliquer dans les initiatives qui y contribuent et prendre elle-même des initiatives notamment dans les secteurs où elle joue un rôle important.
Josiane Dragoni (sec. régionale FSU-PACA) et Daniel Rallet (Institut de la FSU)
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