La crise est finie...
Avertissement : ce texte n'a pour objet que de donner des informations sur l'état actuel de la crise de l'Europe ...
La crise de l’euro est derrière nous, la crise financière est apaisée, on a passé le cap le plus difficile même s’il reste encore à résoudre le problème de la croissance.
Voilà la nouvelle sauce qu’on nous sert au sortir de cet hiver marqué par les « plans de sauvetage » de l’euro et par la multiplication des plans d’austérité en Europe.
Trois éléments justifient ce discours
1- La BCE est enfin sortie de son immobilisme prudent.
En décembre puis en février, elle a lancé deux grands programmes de soutien aux banques, sous la forme de prêts à prix modique (1 %) et à trois ans pour des montants considérables (489 mds d’euros en décembre, 529 en février). De nombreuses banques européennes (principalement italiennes, espagnoles , françaises et grecques) se sont précipitées pour bénéficier de ces prêts, ce qui tend à montrer leur grande fragilité.
Ces programmes ont pour objectif :
- de sauver les banques les plus menacées de la faillite du fait de manque de liquidités.
- de calmer la tempête sur la dette publique en incitant les banques à acheter de la dette publique (elles avaient tendance à s’en débarrasser) avec toujours le même souci de préserver la rentabilité de ces opérations (prêts à 1 % pour que les banques à 5 ou 7 % à l’Italie,…). La BCE agit comme prêteur en dernier ressort des banques, mais pas des Etats : l’hypothèse de prêts directs aux Etats reste exclue. Ce sont les peuples qui paient le prix de ce dogme.
- d’éviter un « credit crunch », c'est-à-dire un rationnement des prêts bancaires à l’économie du à la crise du marché interbancaire : en décembre 2011 on se retrouvait dans la situation de 2008 quand les banques ne se prêtaient plus entre elles du fait du soupçon de créances douteuses, à l’époque à cause des subprimes, aujourd’hui en raison de la dépréciation des titres publics.
2- Le « plan de sauvetage » de la Grèce
La presse et les gouvernements se félicitent du « succès » du plan de restructuration de la dette publique grecque .
Ce « sauvetage » a pour objectif de gagner du temps pour éviter l’implosion de la zone euro et d’après la doxa libérale permettre aux « réformes structurelles » de produire leur effet sur la croissance. Il vise aussi à circonscrire le feu à la Grève et enrayer la contagion aux pays déjà destinataires d’un plan de « sauvetage ( Irlande, Portugal) ou menacés (Espagne, Italie).
3 La sortie de crise s’inscrit dans une volonté politique à l’échelle européenne de résoudre durablement les « insuffisances » de la zone euro à travers des « avancées institutionnelles ».
C’est l’approbation et la ratification du Mécanisme européen de Stabilité (MES) qui doit remplacer en juillet 2012 le Fonds de Stabilité Financière (FESF) mis temporairement en place en 2010. Ce MES est vendu comme un élément central de la solidarité des pays européens envers ceux d’entre eux qui sont en difficulté, ce qui est une façon d’avouer que cette question avait été occultée en 1992 de façon irresponsable lors de la conclusion du traité de Maastricht.
C’est surtout le Pacte budgétaire ou Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) signé début par mars par les gouvernements et soumis à la ratification dans chaque pays. Il sera mis en œuvre le er janvier 2013 si 12 pays sur les 25 qui l’ont signé.
Pour ces deux réformes institutionnelles, se reporter à l’analyse du secteur international de la FSU.
Les plans de sauvetage aggravent la crise économique et préparent un rebond de la crise financière
La presse titre sur l’effacement de la moitié de la dette publique grecque, soit 100 milliards d’euros. En fait il s’agit de la dette détenue par des créanciers privés.
Cette restructuration a consisté en un échange d’anciennes obligations contre des nouvelles dont la valeur faciale est réduite de 50 %, et si on tient compte de l’allongement de la durée des prêts et de la baisse des taux d’intérêts (entre 3 et 4 % contre plus de 5 % pour les anciens titres), les nouveaux titres représentent une perte de près de 70 %.
La perte est toutefois à relativiser. Les créanciers sont récompensés de cet accord par une indemnité correspondant à 15 % de la valeur du titre. (versée par le FESF). D’autre part, ces titres ne valaient quasiment plus rien sur le marché secondaire. Les nouvelles obligations sont placées sous la loi britannique, ce qui empêchera l’Etat grec de toucher à ces titres.
En contrepartie de cet accord, la Grèce « bénéficiera » d’un nouveau prêt de 130 milliards d’euros. Il s’agit donc d’une nouvelle dette. L’ « allègement » consiste donc à faire passer la dette publique grecque de 161 à 159 % du PIB !
En fait, cet accord signifie que les créanciers privés se désengagent et que le risque est transféré sur les créanciers publics (FMI, UE, BCE, FESF) qui vont détenir 75 % de la la dette grecque contre 35 % aujourd’hui. Le FESF va ainsi être lesté de 167 milliards de titres grecs.
Sur les 130 milliards, 30 seront versés aux créanciers privés (cf l’indemnité évoquée plus haut), 35 à l’Etat grec pour qu’il rachète une partie de sa dette et l’annule, 25 pour recapitaliser les banques grecques déstabilisée par leurs pertes dues à le restructuration avec comme condition qu’elles ne soient pas nationalisées (merci la troïka disent les actionnaires). Il ne reste plus grand-chose et le montant restant doit être versé sur un compte bloqué qui sera « libéré » par tranches au vu des « résultats » du programme d’austérité associé à ce plan.
Sur la base de taux de croissance sidérants (près de 4 %/an à partir de 2015), la troïka affiche la promesse d’une réduction du ratio dette publique/PIB à 120 % en 2020.
Pour le moment on en est à une baisse du PIB de 7,5 % en 2011 après 6 % en 2010. Bref l’économie grecque s’effondre. Même si l’hypothèse complètement irréaliste d’un retour à l’équilibre budgétaire se produisait, la dette publique augmenterait à une vitesse folle du fait de l’effet « boule de neige » quand le coût de la dette est à 4 % et que les recettes budgétaires baissent parallèlement au PIB de plus de 5 %.
Cette équation est insoutenable. La Grèce ne pourra revenir sur les marchés emprunter elle-même en 2015 comme prévu. On parle déjà d’un futur nouveau plan de sauvetage.
On retrouve cette équation dans les autres pays. L’austérité généralisée en Europe a conduit à une récession qui aggrave les déficits publics et dynamise la crise de la dette sur les marchés financiers.
Le Portugal est le prochain sur la liste : bien que subissant une récession de 3% en 2012, la troïka maintient son exigence irréaliste d’un déficit public de 3 % en 2013. Il ne pourra pas revenir sur les marchés à cette date et devra soit restructurer sa dette (la stratégie de contenir l’effet contagion à la Grèce est illusoire), soit solliciter un nouveau plan de « sauvetage ».
L’incident qui vient de se produire avec l’Espagne est révélateur. Le lendemain du jour où il a signé le Pacte budgétaire à Bruxelles, Rajoy a déclaré à Madrid que l’Espagne refusait l’objectif assigné par Bruxelles de réduire de moitié le déficit public en 2012 (4,4 % contre 8,5 % du PIB en 2011). Avec 23 % de chômeurs et les régions qui protestent parce que l’éducation et la santé sont sacrifiées, Rajoy n’a pas beaucoup de marge de manœuvre.
Si ces « incidents » se multiplient, on va vers des conflits de plus en plus importants au sein de l’UE.
La crise de la dette publique qui frappe la zone euro et épargne des Etats très endettés en dehors de celle-ci (Japon, Etats-Unis, Royaume-Uni) s’explique essentiellement par deux éléments indissociables
- les Etats de cette zone se sont mis entre les mains des marchés financiers en empruntant sur ces marchés. Mais c’est aussi le cas des Etats-Unis ou du Royaume-Uni depuis la déréglementation des années 80.
- en se privent d’une intervention directe de la BCE sur les titres publics, ils ont mis en doute la garantie publique sur la valeur de ces titres et ouvert la voie à la spéculation. Les obligations du Trésor de valeurs refuge sont devenus des produits à risques.
Comme tout le monde voit bien l’abîme économique, politique et social dans lequel nous entraîne l’austérité permanente, nos néo-libéraux répondent que les « réformes structurelles » imposées comme conditions des prêts, dans la grande tradition du FMI, vont après ce nécessaire moment difficile qu’il faut affronter avec courage, stimuler une croissance enfin retrouvée.
Il y a ensuite ceux qui se démarquent de ce discours et veulent concilier austérité et croissance. On parle alors de réduction « sélective » des dépenses, ménageant les investissements d’avenir, ou de grands travaux financés par de grands emprunts, mais cette perspective reste très floue et fait l’impasse sur les questions essentielles posées par cette crise.
Les plans de sauvetage aggravent la crise de l’Europe.
Selon les concepteurs de ces plans, la crise serait celle de la dette publique provoquée par une croissance excessive des dépenses publiques. La solution consiste à imposer une discipline budgétaire, bien plus radiale que celle de Maastricht.
De l’avis de nombreux économistes, ce diagnostic est complètement erroné.
Les plans de sauvetage passent complètement à côté de l’essentiel : dans une zone monétaire unique, les économies divergent nécessairement en termes de spécialisation, de rythmes, de croissance, de prix,…
Les « gagnants » accumulent des excédents commerciaux qui sont l’envers des déficits subis par les « perdants ». Pour éviter l’éclatement et maintenir la cohésion, chaque membre n’a plus la possibilité de dévaluer sa monnaie pour rétablir son économie (à travers la baisse des prix à l’exportation et la hausse des prix à l’importation).
On exclut également l’hypothèse que tous les Grecs partent vivre et travailler en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Finlande (même si des courants d’émigration ont repris en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne, notamment pour les jeunes diplômés).
Qu’est ce qu’il reste ?
Il y a deux solutions : le chacun pour soi ou la solidarité.
Le chacun pour soi : on demande au pays en difficulté de retrouver sa compétitivité en pratiquant une « dévaluation salariale », c'est-à-dire en baissant le niveau de vie de sa population de 30 à 40 % comme en Grèce.
Evidemment rien n’assure que cela marchera surtout si comme en Grèce la base industrielle a été liquidée à partir des années 90, et si l’investissement s’effondre du fait de la récession. Cela condamne la Grèce à devenir une économie de services sous qualifiés et orientée vers un tourisme destiné aux gens du Nord recherchant le soleil. La Grèce se rapprocherait ainsi du tiers monde, ce qu’a bien compris le peuple grec.
La solidarité peut s’exprimer de plusieurs façons
- elle peut consister en transferts des « forts » vers les « faibles », par le budget, la mutualisations d’emprunts ou d’autres mécanismes. Cela se pratique couramment dans des Etats fédéraux comme les Etats-Unis ou l’Allemagne. Dans ce dernier pays, trois Länder du Sud paient chaque année 13 milliards de subventions aux treize autres. Cela suppose un budget fédéral conséquent. Cette voie a été fermée dès Maastricht : aucun Etat ne peut porter secours à un autre, la BCE non plus, et le budget de l’UE est ridicule (1% du PIB).
L’Allemagne s’oppose radicalement à cette solidarité budgétaire, et elle est suivie par pas mal de gouvernements.
- La solidarité peut s’exprimer autrement : les pays « forts » servent de moteur, relancent leur économie et offrent des marchés aux pays faibles.
Un pays peut être « fort » à cause de sa compétitivité ou plus simplement parce qu’il a une bonne spécialisation par rapport à la demande du moment : selon qu’elle se porte sur l’automobile ou les transports publics, le vin ou la bière l’impact sur la croissance des pays est différent.
Aux débuts de l’euro, jusqu’en 2008, les pays d’Europe du Sud, notamment la Grèce, ont connu une croissance bien plus rapide que la France ou l’Allemagne. Profitant de taux d’intérêts faibles (grâce à leur adhésion à l’euro et à une inflation plus forte), ils se sont endettés avec évidemment le revers de la médaille concernant la nature de ce qui était financé. Mais leur niveau de vie s’est amélioré.
Pendant ce temps, l’Allemagne a engagé une politique d’austérité salariale très dure, son économie étant stimulée par les exportations vers les autres pays européens (l’UE représente 60 % de ses exportations et la zone euro 43 %) et vers les pays émergents.
Quand les pays du Sud ont vu le moteur du crédit privé s’effondrer en 2008, sans pouvoir y substituer la demande publique du fait des politiques d’austérité qui leur étaient imposées, l’Allemagne a maintenu grosso modo son austérité salariale et a refusé de faire une relance budgétaire chez elle pour dynamiser l’économie européenne, engageant même des mesures d’austérité. On appelle cela une « politique non coopérative »
Le message destiné aux pays en difficulté est qu’ils doivent s’en sortir non avec l’aide des autres mais en leur faisant une guerre économique pour leur prendre des marchés. Mais à ce jeu il y a forcément des perdants et des gagnants, car dans une zone où 60 % des échanges extérieurs des pays se font entre eux les déficits sont le symétrique des excédents.
L’Allemagne accumule donc des excédents commerciaux gigantesques pendant que les déficits extérieurs des autres pays de l’UE prennent des proportions importantes (cf France). Ces déséquilibres sont à terme mortels pour la zone euro.
Les « plans de sauvetage » se désintéressent complètement de cette question, au grand étonnement des économistes, notamment anglo-saxons.
En fait, ce qui est jeu, c’est le modèle de concurrence de tous contre tous qu,i via un dumping fiscal et social sanctifié par les institutions européennes, est au centre de la construction européenne depuis une trentaine d’année. Il n’est facile ni de renoncer au dogme, ni aux intérêts qui y sont associés.
La crise est finie. Pourtant elle ne fait que commencer.
Aujourd’hui c’est l’aspect social et politique de la crise qui domine.
Comment expliquer l’aveuglement dont font preuve les dirigeants européens qui se cramponnent à des dogmes (non monétisation de la dette publique par la BCE, l’austérité permanente comme seul horizon) pourtant dangereux. Aveuglement idéologique, défense d’un modèle d’où ils tirent leur pouvoir et répondent à des intérêts, stratégie du choc pour faire passer en accéléré le projet néo-libéral ?
A discuter
Pour finir trois citations
« L’heureux dénouement de la crise grecque » titre le site du Monde au lendemain de l’accord passé avec les créanciers
« Vous n’avez pas de mandat pour ce Moyen Age que vous nous préparez » (banderole dans une manifestation grecque)
« Sauvons le peuple grec de ses sauveurs » (texte d’intellectuels dans Libération du 21 février
Daniel Rallet
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