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Note sur le « Grand Emprunt »
Groupe économique et social (SNES)
Daniel Rallet
L'ampleur du « grand emprunt » lancé par Sarkozy est modeste mais s'inscrit dans un emprunt
public d'envergure destiné à financer le déficit des finances publiques. Ce déficit dû en grande partie
à la crise s'explique aussi par la politique de baisse des ressources publiques initiée depuis une
dizaine d'années. L'Etat est contraint de recourir à l'emprunt faute de ressources fiscales pérennes.
Les dépenses engagées par le « grand emprunt », notamment pour l'enseignement supérieur et la
recherche, sont des dépenses annuelles qui devraient être couvertes par l'impôt. Le gouvernement
masque cette contradiction avec une distinction discutable entre dépenses de fonctionnement et
d'investissement. Paradoxalement, le grand emprunt est utilisé pour justifier une politique de
réduction des dépenses publiques. Le retard pris par l'investissement public dans l'enseignement
supérieur et la recherche justifie un effort financier, mais celui-ci reste insuffisant, s'inscrit dans une
politique qui privilégie les lieux réputés d'excellence au détriment de l'ensemble, et porte une
conception très utilitariste subordonnée à des intérêts privés.
Petit ou grand emprunt ?
Le « grand emprunt » (GE) s'inscrit dans un
enchaînement de paradoxes : loin des 100 milliards
préconisés par H.Gaino, c’est plutôt un petit emprunt :
sur les 35 Mds d’euros (1,8 % du PIB) , 13 Mds
proviendront des remboursements des banques et seuls
22 Mds seront levés sur les marchés.
Simultanément ce petit emprunt s’insère dans un très
grand emprunt puisque, selon la loi de finances 2010,
l'État doit emprunter cette année 175 milliards d’euros
(sans compter le GE) pour faire face à un déficit public
estimé à 8,5 % du PIB.
La première question posée par l'initiative de Sarkozy
est de savoir quel rôle politique elle joue dans la
situation des finances publiques.
Ensuite, à partir de notre position de principe en faveur
des investissements publics, surtout lorsqu’il s’agit de
« dépenses d’avenir », il faut s’interroger sur la nature
des projets et voir si ces dépenses qui constituent
d’une certaine façon une affirmation du rôle de l’Etat
s’insèrent ou non dans la continuité d’une politique
libérale.
L'emprunt substitut des recettes fiscales ?
Les rentrées fiscales et sociales s’effondrent : le taux des prélèvements obligatoires (PO/PIB) connaît une
chute spectaculaire en 2009 de 2,2 points de PIB, de sorte qu’il atteindra un niveau historiquement bas (40,6
%) en 2010.
Cet effondrement est principalement du à l’impact de la crise économique qui diminue les recettes qui sont
sensibles à la variation de la croissance et des revenus : impôt sur les sociétés (IS), TVA, impôt sur le revenu,
cotisations sociales,….Par exemple, les recettes de l’IS sont passées de 50 à 20 milliards de 2008 à 2009 !
Mais cet effondrement conjoncturel masque l’impact structurel d’un choix politique de fond à savoir la baisse
des ressources publiques dans le but de réduire le champ de l’action publique.
La baisse des ressources publiques : une politique qui coûte cher
Il n'est pas inutile de rappeler la liste des recettes dont l'Etat s'est privé et surtout de souligner
l’importance des sommes en jeu.
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Les seules réductions d'impôts votées depuis 2000 ont amputé les recettes publiques de 66 milliards
d'euros par an !.
Les multiples niches fiscales coûteront 75 Md€ en 2010 sans que l’efficacité de ces dispositifs soit
sérieusement évaluée
Par exemple, le coût des niches fiscales de l’impôt sur les sociétés s’élève à 27 Mds€ (2007), avec
parmi-celles-ci le crédit impôt recherche utilisé par les entreprises comme un outil de défiscalisation
sans que l’impact réel sur la recherche puisse être mis en évidence.
Des mesures prises dans une grande discrétion peuvent avoir un coût très élevé : les plus-values à
long terme de cession de titres de participation, exonérées en quasi-totalité de l'impôt sur les sociétés
ont représenté un manque à gagner pour l'Etat de 20,5 milliards d'euros sur deux ans : 12,5 milliards
en 2008 et 8 milliards en 2009 !
On sait que les niches fiscales de l’impôt sur le revenu représentent près des 2/3 du montant de cet
impôt !
Il faut également prendre en compte les niches sociales (41 milliards en 2009), en particulier les
exonérations de cotisations sociales : (35 milliards dont la quasi totalité (33 milliards) est compensée
par l’Etat.
Sur un autre plan, le manque à gagner de la fraude fiscale, l'évasion en particulier vers les paradis
fiscaux, était estimé en 2007 entre 30 et 40 milliards d'euros par le Conseil des prélèvements
obligatoires.
L'emprunt : une curieuse solution pour financer des dépenses pérennes
Si on rapproche par exemple le cumul des pertes de recettes sur cinq ans, durée minimale d'amortissement
d'un investissement, un quinquennat de loi TEPA (65 Md€), et un quinquennat de baisse de TVA sur la
restauration (15 Md€) représentent plus de deux grands emprunts !
Un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires montre que grâce aux techniques d' « optimisation
fiscale » (prix de transfert, paradis fiscaux,...) les grandes entreprises du CAC 40 sont bien moins imposées
que les PME dont la commission Rocard-Juppé vante pourtant les mérites pour leur rôle dans l'innovation !
Le taux implicite d'imposition sur les bénéfices n’est que de 8° % pour les sociétés du CAC 40, alors qu’il
atteint 20 % pour les entreprises de moins de 500 salariés, et grimpe à 30 % pour celles de moins de salariés.
Ces baisses d'impôts creusent les inégalités sociales (les 2/3 des réductions d'impôts en faveur des ménages
depuis 2002 ont bénéficié aux contribuables aisés), elles privent l'Etat de ressources qu'il est contraint ensuite
d'emprunter à ceux qui ont bénéficié de ces allègements et en les rémunérant à près de 4 % (3,63 % pour une
obligation du Trésor à 10 ans début janvier)
Les Banques tirent actuellement un grand profit de l'émission de titres de la dette publique, notamment en
Europe et au Japon. Par exemple, 80 % des obligations publiques sont achetées par les banques dans la zone
euro.
Pour acheter ces obligations, elles utilisent des financements à bas coût en provenance des banques centrales,
ainsi que l'épargne des ménages qu'elles gèrent (comptes sur livrets, assurance-vie) qui est actuellement
faiblement rémunérée. Leur profit vient de la différence entre le taux servi sur les titres publics (3 à 4 % sur 10
ans) et le faible coût des ressources qu'elles utilisent.
On comprend pourquoi le gouvernement français n'a pas lancé le grand emprunt directement auprès des
épargnants : d'abord cela lui aurait sans doute coûté plus cher, ensuite cela aurait privé les banques de
l'essentiel de la rente qu'elles tirent actuellement de l'émission de titres publics.
Du point de vue de la rationalité économique, la situation est assez ubuesque : pour financer des
investissements dans l'enseignement et la recherche (les 2/3 du grand emprunt) qui correspondent à des
rémunérations de personnels qu'il faudrait rémunérer annuellement, on ne peut pas utiliser les ressources
fiscales qui se renouvellent pourtant chaque année et on a recours à une ressource qui coûte plus cher et qui est
un fusil à un coup !
Ce que le grand emprunt ne finance pas en dit long
Par cette approche, on voit bien quelles sont les bases idéologiques de cette initiative.
Le social : rien ! Notamment pour cette catégorie d'avenir qu'est la jeunesse. Rien sur les inégalités d'accès aux
besoins fondamentaux, rien sur les services publics, la petite enfance, la dépendance, la santé publique,...
Le logement, considéré par de nombreux experts comme la question sociale numéro 1 avec l'emploi : rien !
Alors qu'il y a un déficit d'un million de logements, surtout de logements sociaux.
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La contribution de l’Etat pour le logement est pourtant descendue à son point le plus bas depuis 30 ans.
La commission Rocard-Juppé proposait d'affecter deux milliards d'euros du grand emprunt pour accélérer le
programme d’isolation thermique de 700 000 logements sociaux.
Le GE version Sarkozy n'a pas repris cet objectif, par contre il a retenu 500 millions d'aide au logement privé,
déclenchant ainsi la colère du président du mouvement HLM.
Les grandes infrastructures de transports et les grands réseaux : rien ou presque (couverture du territoire en
haut débit).
L'enseignement supérieur et la recherche bénéficient de 19 Mds€, mais ces dépenses sont ciblées sur certains
campus et certains programmes de recherche qualifiés d'excellence. D'ailleurs il est impossible d'obtenir un
centime si on n'est pas d'excellence, qu'il s'agisse des internats ou des CHU !
Il est clair que cette politique va renforcer le développement d'une université et d'une recherche à deux
vitesses. On peut s'interroger sur la capacité d'une université et d'une recherche à produire des pôles
d'excellence sans disposer d'une base arrière solide avec une université de qualité pour le plus grand nombre et
une recherche publique de qualité, avec des emplois attractifs pour les chercheurs.
Dépenses d'investissement honorées, dépenses de fonctionnement abhorrées : cette distinction absurde
annonce un mauvais coup
La distinction entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement qui fonde les orientations du GE
n'a plus grand sens à l'ère de l'économie de la connaissance que les auteurs du projet prétendent vouloir
développer. L'investissement est devenu largement immatériel, ce qui signifie qu'il repose sur un travail direct
sur la connaissance, correspondant à des rémunérations classées comme...dépenses de fonctionnement.
Dire que le grand emprunt exclut les dépenses de fonctionnement au motif qu'elles ne sont pas des dépenses
d'avenir est une absurdité cyniquement reconnue puisque -on l'a vu- plus des 2/3 des investissements du GE
sont des « dépenses de fonctionnement » !
Toutefois cette absurdité remplit certaines fonctions :
- elle justifie la différenciation entre une majorité d'universitaires et de chercheurs (c'est du « fonctionnement »
dont il faut réduire le coût) et les heureux élus des campus et des programmes d'excellence qui vont être
arrosés au prix de leur liberté (c'est de l'investissement). C'est ainsi que le gouvernement pourra dire qu'il fait
un effort sans précédent pour l'enseignement supérieur et la recherche en privilégiant l'excellence contre les
laissés pour compte. La mécanique est infernale puisque les « laissez pour compte » n’ont plus alors que la
solution de se rapprocher d’intérêts privés pour survivre lorsqu’ils le peuvent.
- Plus fondamentalement encore, cette distinction absurde entre fonctionnement et investissement a pour
fonction de préparer un coup politique dont le cynisme est remarquablement d'époque et tout aussi
remarquablement exprimé par l'aphorisme de Sarkozy « dépenser moins pour investir plus ! ».
Puisque les finances publiques sont dans un état déplorable (on a déjà oublié que c'était à cause des banques)
et qu'il va bien falloir s'attaquer aux déficits publics vu le niveau de la dette, et comme on ne peut pas toucher
aux investissements d'avenir (au contraire), on va réduire les « dépenses de fonctionnement » !
Et pas n'importe lesquelles : c'est pas avec la RGPP , ni avec les 500 millions d'€ d'économies par le non
remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite qu'on va réduire un déficit qui est proche de
10% du PIB !
D'autant que comme l'a dit Sarkozy lors de son allocution du 14 décembre, l'Etat ne représente qu'un tiers de la
dépense publique
C'est en s'attaquant aux « vraies dépenses de fonctionnement » (la santé, l'éducation, les retraites, les dépenses
des collectivités locales...) qu'on peut faire quelque chose d'efficace.
Sarkozy a fait référence à la réforme déjà annoncée des retraites, aux dépenses de santé, et mis en cause ces
collectivités locales qui embauchent sans compter.
En d'autres termes, la crise des finances publiques est l'occasion enfin trouvée de légitimer ce qui n'est pas
légitime aux yeux de l'opinion.
Il faut donc corriger l'exposé antérieur au moins sur deux points :
- rien pour le social dans le GE ? C'est pire que cela : le social est une des cibles de cette opération.
- le grand emprunt est donc un fusil à deux coups.
Les dépenses publiques, cible des « règles d’or »
Sarkozy a annoncé une « conférence sur le déficit de la France » pour janvier. Il y sera notamment débattu de
l'instauration d'une règle budgétaire pour imposer le retour à l'équilibre des comptes publics, à l'image des
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Allemands qui viennent d'inscrire dans leur Constitution l'engagement de ramener leur déficit public à 0,36 %
du PIB en 2016 et de l'y maintenir si les circonstances économiques le permettent.
Ce « gouvernement par la règle », vieille lune libérale, est une tentative de plus de dépolitiser le débat sur les
finances publiques (cf l'essai de Fitoussi « la règle et le choix », Seuil 2002).
Eric Woerth s'est donc trouvé une règle : les intérêts sur le grand emprunt doivent être compensés par une
réduction équivalente des dépenses publiques (de fonctionnement, cela va de soi).
En d'autres termes, on va diminuer les retraites pour financer au choix les batteries pour voitures électriques, le
réacteur nucléaire de 4eme génération, les nanotechnologies ou le campus de Saclay !
Les stratégies budgétaires de sortie de crise occupent le FMI, l'OCDE et la Commission européenne (Lettre de
l'OFCE, 2 décembre 2009). Il faut comprendre par là les recommandations sur la façon de réduire les déficits
publics une fois la phase aïgue de la crise passée, notamment par une action sur les dépenses publiques..
L'OCDE préconise de réduire les dépenses sociales plutôt que d'augmenter les impôts « pour rassurer les
marchés financiers » (Perspectives économiques, novembre 2009).
La Commission fait pression pour que les déficits repassent sous les 3 % du PIB en 2013 ou 2014. La véritable
question, celle de la coordination des politiques budgétaires, n'a pas avancé d'un pouce, ce qui explique sans
doute qu'on se cramponne à la règle, en rêvant que tout redeviendra comme avant.
L'absence de toute dimension européenne dans le GE est d'ailleurs un trait remarquable : alors que l'Union
européenne devait devenir « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde
d'ici à 2010 , dans quel bilan de la stratégie de Lisbonne s'inscrit le grand emprunt franco-français ?
Certains pays ont déjà fait des annonces de réduction des dépenses publiques, de report de l'âge de la retraite
(Royaume-Uni, Pays-Bas).
« Nous ne paierons pas pour leur crise » scandaient les manifestants de l'an dernier.
C'est pourtant bien « leur » intention.
La relance de l’investissement public est nécessaire.
Le mérite du GE est de reconnaître l’insuffisance de l’investissement public et de l’effort de recherche. Cette
reconnaissance est le fruit des luttes des univesitaires et chercheurs qui l’ont mis en évidence.
Notamment sous l’effet des contraintes pesant les dépenses publiques avec l’entrée dans l’euro (critères de
Maastricht), l’Etat s’est progressivement dégagé de l’investissement public. Le relais pris par les
administrations publiques locales à la fin des années 1990 n’a pas permis de compenser ce recul.
L’investissement public compte aujourd’hui pour 6% des dépenses publiques totales (7,2% en 1991) et moins
de 15% de l’investissement de l’économie française, les trois quarts de l’investissement public total étant
réalisés par les seules collectivités locales.
La France ne se classe qu’au 10ième rang mondial en termes d’intensité de l’effort en R&D (exprimé en
pourcentage de PIB)
Nettement inférieur au seuil des 3% requis, l’effort de R&D français se distingue aussi par son recul quasiininterrompu
depuis le début des années 90 (-0,24 point de PIB depuis 1990 ) et, surtout, par le poids
relativement important de l’investissement en R&D exécuté par le secteur public.
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La dépense intérieure de R&D (DIRD) exécutée par les entreprises ne représente en effet que 63% de la DIRD
totale et encore celle-ci est-elle financée pour 20% par les administrations publiques et l’étranger (à hauteur de
11,4% et 8,6% du total, respectivement)
L’effort représenté par le GE est-il à la hauteur ?
Il manque 1 à 2 points de PIB par an d’investissements publics, soit 20 à 40 Md€. Le GE ne bouche le trou que
pour une seule année !
On retombe sur le problème de ressources pérennes.
Les auteurs du projet ont voulu résoudre ce problème en dotant les fondations universitaires d’un capital censé
générer des revenus annuels.
Par exemple les « campus d’excellence » recevront via des fondations un capital de l’ordre de 8 Md€ dont
seuls les intérêts sont « consumptibles » c’est à dire utilisables pour financer des dépenses.
Imaginons que ce capital est placé en obligations du Trésor à 4 %, cela rapporte annuellement 320 millions
d’€, qui sont les ressources utilisables puisqu’on ne peut toucher au capital.
Ce système est également utilisé pour la recherche, notamment pour doter en capital des « sociétés de
valorisation » implantées sur les grands campus.
Les universités vont bénéficier d’un peu plus de 300 millions d’€ annuels, sans rapport avec les sommes
affichées (10 Md€ pour le supérieur).
Au total, les revenus de ces capitaux (recherche et enseignement supérieurs) rapporteront autour de 800
millions : on est loin des 1,8 Mds annuels promis par Sarkozy.
Cette technique des fondations dotées d’un capital est très utilisée aux Etats-Unis. Un moyen pour augmenter
les ressources est de faire des placements plus rémunérateurs que les titres publics, mais plus risqués, comme
les hedge funds et autres produits financiers sophistiqués. Ces fondations sont alors gérées par des financiers
professionnels qui recherchent des retours moyens de l’ordre de 10 %.
On voit bien comment l’université et la recherche peuvent être ainsi englobées dans le mouvement de
financiarisation et en subir les aléas.
Quels « investissements d’avenir » ?
Nul ne conteste que les dépenses ciblées correspondent à des dépenses d’avenir.
Outre le doute sur l’ampleur de l’effort et sa pérennité, les syndicats de la FSU les plus concernés, le SNESSUP
et le SNCS émettent quatre séries de critiques :
- L’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation ont besoin d’un effort régulier et programmé de
développement de leur potentiel humain.
A quoi sert de financer des investissements s’il n’y a pas les ressources humaines nécessaires pour les mener à
bien ? La France forme 10 000 docteurs par an contre 15 000 au Royaume-Uni et 25 000 en Allemagne.
Il faut avant tout développer des emplois attractifs pour les universitaires et les chercheurs alors que la logique
du GE tend à accroître la précarité, le recours aux CDD…
Comme les budgets « ordinaires » sont insuffisants, les laboratoires n’ont guère d’autre choix que se mettre au
service d’intérêts privés pour survivre et se développer.
- La concentration de l’effort sur les campus et labos d’excellence non seulement crée des inégalités, mais elle
nuit à l’efficacité de l’investissement dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche en
attaquant leur potentiel global et en sacrifiant des universités et des labos de valeur.
- Les investissements d’avenir sont définis sans débat démocratique, à partir d’une commission d’experts (la
commission Rocard-Juppé). Le sytème des fondations tend à transférer le pouvoir réel des CA d’universités
vers les CA de ces fondations, alors que les représentants des chercheurs et des enseignants-chercheurs y sont
minoritaires. On assiste à la multiplication de structures et d’agences (ANR, AERES, pôles de compétivité,
RTRS, EPCS, FCS,….) au fonctionnement opaque et qui comprennent peu d’élus.
- Sarkozy attend de ces dépenses publiques un effet de levier, c’est à dire qu’elles doivent entraîner de
nouveaux financements privés, notamment à travers la formule du partenariat public-privé. L’effet de levier
serait proche de 2, de sorte qu’au total l’investissement global serait aux alentours de 60 Md€.
Il y a une première interrogation sur le contrôle de la distribution de ces aides au privé.
et de leur utilisation effective.
Il y a une seconde interrogation plus fondamentale sur l’orientation de la recherche. La conception dominante
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chez nos gouvernants, et très présente dans le GE, est qu’il existe un stock de connaissances qui est bien
suffisant et que le problème c’est de l’utiliser.
Cette conception très utilitariste, et très proche des intérêts privés, fait l’impasse sur le renouvellement du
stock des connaissances, et de la nécessaire distance par rapport à des usages immédiats que ce
renouvellement implique. Sans recherche publique, détachée de la pression utilitariste, il n’y a pas de
recherche fondamentale possible.
On peut également voir dans ce grand emprunt une illustration de l’évolution du capitalisme contemporain,
tels que El Mouhoub Mouhoud et Dominique Plihon l’analyse dans leur dernier ouvrage (Le savoir et la
Finance, La Découverte, 2009).
Les biens cognitifs et immatériels représentatifs de l’économie de la connaissance sont insérés dans un
système de droits de plus en plus verrouillé destiné à protéger la propriété intellectuelle en faveur des grandes
entreprises et de leurs actionnaires. De son côté la finance a mis en place des outils propres aux
caractéristiques de ces biens, notamment en termes de risques et d’incertitude. Les institutions de la finance et
les droits de la propriété intellectuelle constituent selon ces auteurs des instruments adaptés à la
marchandisation de la connaissance. Mais la finance a un horizon de court terme peu compatible avec le
développement d’innovations risquées et marquées par l’incertitude, en même temps que le verrouillage des
droits ralentit la diffusion de la connaissance.
Dans ces conditions, on peut penser que le recours à l’investissement public est une tentative de dépasser ces
contradictions.
Sources :
Allocution du président de la République (14 décembre) et rapport de la commission Juppé-Rocard (24
novembre)
Lettres et notes de l’OFCE
Notes mensuelles de Natixis
Fondation Terra Nova
Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires
Communiqués de la FSU, du SNE-SUP et du SNCS
Annexe
Cinq priorités d'avenir.
- Enseignement supérieur et formation : 11 milliards d'euros, dont 8 milliards serviront à "faire émerger 5 à
10 campus d'excellence ayant les moyens, la taille critique et les liens avec les entreprises qui leur permettront
de rivaliser avec les meilleurs universités mondiales". Ces universités recoivent une dotation en capital qui
n’est pas utilisée pour financer des orojets mais dont les intérêts constituent des ressources annuelles.
Le campus de Saclay doit regrouper les grandes écoles déjà à Saclay, L’Ecome normale supérieure de Cachan,
L’Ecole centrale et l’Université de Paris 11..
L'Etat investira aussi 500 millions d'euros dans la rénovation des centres de formation, le développement de
l'apprentissage et la création d'internats d'excellence.
Enseignement supérieur 10,0
Dotation en capital de 5 à 10 campus d'excellence 7,7
Opération campus 1,3
Saclay 1,0
Formation 1,0
Formation professionnelle 0,5
Egalité des chances 0,5
- Recherche : 8 milliards d'euros. Deux priorités mises en avant : une politique de valorisation visant à
"amener les travaux de nos laboratoires vers les applications industrielles" (3,5 milliards) et la santé et les
biotechnologies (2,5 milliards).
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Valorisation de la recherche publique 3,5
Laboratoires d'excellence 1,0
Equipements de recherche 1,0
Santé et bio-technologies 2,5
- Soutien à l'industrie et aux PME : 6,5 milliards d'euros qui serviront à aider les "filières d'excellence à
préparer l'avenir" - en particulier l'aéronautique (l’avion du futur), le spatial, l'automobile (batteries), mais
aussi le ferroviaire et la construction navale - ou à aider à l'émergence d'une nouvelle politique industrielle.
Automobile, transports terrestres et maritimes 1,0
Aéronautique et espace 2,0
Petites et moyennes entreprises 2,5
Etats généraux de l'industrie 1,0
- Développement durable : 5 milliards d'euros en plus de ce qui est déjà prévu dans le cadre du Grenelle de
l'environnement. L’accent est mis sur le réacteur nucléaire de 4e génération et les énergies renouvelables. Le
CEA va englober les énergies renouvelables.
Energies renouvelables et décarbonées 2,5
Nucléaire de demain 1,0
Transports et urbanisme durables 1,0
Rénovation thermique 0,5
- Passage à l'économie numérique : 4,5 milliards d'euros, avec un plan "comparable à l'effort que fit notre
pays dans les années 1970 pour le téléphone", et qui sera présenté par le
organismes de recherche déjà présents,
Infrastructures de très haut débit 2,0 (refaire pour le haut débit l’équivalent du plan téléphone des années 70).
Développement des usages et contenus innovants 2,5 (dont 750 millions pour la numérisation des musées, des
bibliothèques, du patrimoine cinématographique)
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