La peur et le vote utile

Sarkozy ferait peur et Royal serait le vote utile. Il faudrait jouer du premier phénomène pour susciter le second. Nombreux sont les cadres, les militants ou les sympathisant, socialistes ou du centre-gauche, à le penser. C’est, depuis le début, l’axe de la campagne de la direction du parti.

Si Sarkozy, pour les besoins de sa communication, prétend représenter une « rupture », cela ne trompe sans doute pas grand monde. Tout (mouvements sociaux et derniers scrutins) porte à penser qu’il n’y a pas en France une majorité pour le néolibéralisme et le néo-conservatisme. Qu’il existe un mouvement de panique général à l’idée que le Tom pouce sécuritaire prenne le pouvoir, qui permette de pousser le pays dans les bras de Royal, c’est une autre histoire.

Royal s’est replacée dans un clivage droite-gauche. Tout le monde peut en convenir. Ouf ! Que la candidate du PS ait à ce point redressé le cap à gauche et fait preuve lors de ces dernières interventions de sa crédibilité pour un électorat potentiel, c’est encore une autre histoire.

Car la « rupture » libérale et/ou conservatrice a déjà été faite pour l’essentiel et chacun peut le constater assez facilement. Sur le plan institutionnel, elle date de 1958 et 1962, quand De Gaulle instaure la Ve République et la funeste élection du président au suffrage universel, dont le 21 avril 2002 a été la pire illustration. En outre, pendant les années 80 et 90, les grands partis ne sont plus devenus que des écuries présidentielles et des organes de gestion des carrières et des intérêts des élus et des bureaucrates d’appareil : difficile de penser et de représenter des alternatives dans ce cadre. Sur le plan économique et social, les gouvernements de cohabitation Chirac (II) et Balladur avaient déjà creusé le sillon. Et depuis 2002, l’aggravation a été nette ; les choses se sont emballées.

Du coup, il sera difficile de faire apparaître Sarkozy, qui a participé à cette « œuvre » réactionnaire, autrement que comme son continuateur, même en pire. Pas de quoi effrayer les foules pour qu’elles votent comme un seul homme, « utile ». Car on se retrouvera avec une question naturelle, si la mobilisation du « contre » ne suffit pas : « utile à quoi ? »

Il faudrait pour y répondre, que face à un projet politique clair et identifiable, Royal apparaisse comme un réel recours au mal qui a été fait, qui remette la France dans le sens du progrès. Se dire qu’avec elle au moins, ce ne sera pas pire, ne semble pas de nature à entraîner une mobilisation et une adhésion majoritaire. Etre la candidate du PS suffit encore à incarner la gauche, pas à la rassembler largement.

En effet, sur quels points déterminants pour l’avenir, qui concernent la protection sociale, l’emploi, les services publics, la relance économique et la forme des institutions, s’est-elle engagée ?

Les réformes Balladur-Fillon sur les retraites sont emblématiques d’une philosophie libérale et d’un recul social et la loi Fillon doit être réexaminée en 2008. Douste-Blazy a posé le déremboursement comme solution au déficit de l’assurance-maladie. La précarisation du travail, malgré la victoire contre le CPE, a été sanctifiée par le CNE. Avec Borloo, éjecter les chômeurs des listes du chômage est devenu la solution au manque de création d’emploi et au rejet du partage du temps de travail. Face à cela, des syndicats (CGT, FSU notamment) réclament en vain la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle. Des services publics sont en cours voire en achèvement de privatisation et leur renationalisation aura un coût. La loi Fillon (encore lui)-Robien, au-delà encore des suppressions de postes dans l’enseignement secondaire, a posé les bases de reculs historiques pour la conception de l’Education nationale. La Ve République est en crise et le niveau du débat dans et entre les partis tend au ridicule. A tel point que la réclamation d’une VIe République avait commencé à se généraliser. Des directives et des traités européens entravent les politiques économiques volontaires et le progrès social, et la France présidera l’UE en 2007. Plus généralement l’Etat-providence est en crise et il s’agit d’abord d’une crise de financement. Or la droite nous lègue une fiscalité favorable aux plus aisés, car vidée de l’essentiel de son caractère progressif, et conforme aux attentes du Medef, visant à réduire les cotisations sociales et les impôts sur les sociétés.

Face à ces régressions, très avancées maintenant, qui sont en même temps des défis pour la gauche, qu’a-t-il été avancé de substantiel par la candidate du PS ? Nous ne ferons pas ici la liste de ses 100 propositions. Quelques unes, un tant soit peu précises, sont certes bonnes à prendre. Mais si quelqu’un y trouve une ligne politique et des mesures tangibles, capables de changer vraiment la donne, d’arrêter le mouvement en cours et d’en prendre le contre-pied, qu’il le démontre et le premier qui trouve a gagné. Sinon, il ne reste que la continuité de ce mouvement (national et européen), plus ou moins en douceur, et toujours pas d’alternative.

On passera sur les recettes qui sont encore du même tonneau que celles du camp opposé ou des logiques à l’œuvre depuis trop longtemps : varier les allègements de cotisations et les taux d’imposition des entreprises en fonction de leurs apports à la création d’emplois, remise cause de l’essence de la carte scolaire, rôle de l’armée dans le traitement de la primo-délinquance, etc. On passera même sur les allusions poujadistes et antirépublicaines contre la « bureaucratie » de l’Etat « jacobin » - le jacobinisme restant, même si cela gêne ceux qui veulent masquer une curieuse conception de la République, le fondement originel de la doctrine républicaine- tenus à Villepinte, comme substituts à l’absence de politique fiscale.

Mettre en avant quelques déclarations d’intention, pas forcément inutiles mais relevant plus du consensus ou de l’incantation que du principe, ajouter des promesses pas plus financées que les précédentes en fonction du public, faire appel à « l’intelligence des territoires » quand on n’a pas de politique globale, ne constituent pas des engagements, aptes à placer une candidate au-dessus de la mêlée.

On est très, très loin du programme commun de 1981, loin aussi du programme minimal de la gauche plurielle, loin encore du Front populaire dont les propositions floues, renvoyaient quand même à des axes et des référents forts.

Imaginons malgré tout, une victoire dans ces conditions. Imaginons même qu’au moins, elle n’aggrave pas la situation héritée. Une alternance qui ne changerait rien au fonctionnement global de nos institutions et de notre économie et entérinerait les reculs sociaux, risquant de ramener la droite au pouvoir 5 ans plus tard, ne ferait que repousser l’aggravation du mal. On peut juger que c’est déjà ça…

L’Europe a besoin d’une France offensive. Et l’écrasante majorité des nos concitoyens n’a pas besoin d’un centre gauche décentralisateur et moraliste. Il reste un gros effort à faire pour la candidate du PS.

SB

Comments

[Pierrot Assante]

Et à propos de Bayrou et des enseignants...
Quelque soit le champ dans lequel on exerce son activité, ce champ fait partie d’un champ général et il faut en tenir compte pour pouvoir agir efficacement, de même que le poisson ne pourrait agir si étant dans l’eau et avec des nageoires il pensait pouvoir marcher avec des pieds sur terre.
 

Le poisson ne sait pas qu’il est poisson ni qu’il nage, mais il nage.
 

Le syndicaliste sait qu’il est syndicaliste et que son champ c’est le syndicalisme. Mais connaît-il bien son « champ général ». Sait-il dans quel aquarium il évolue, dans quelle eau il virevolte ou il patauge quand il fait le syndicaliste. Sans doute que oui, sans doute que non…
 

Il faut croire que ce oui et ce non soit le cas pour tous les syndicalistes, quand on lit le sondage des enseignants sur les présidentielles qui reflète bien les discussions de couloirs de congrès. Mais à leur décharge, et à la mienne, qui ne suis pas enseignant pour autant,  il faut dire qu’il est difficile de savoir où on nage quand les eaux sont troubles.
 

Ne voulant pas faire ici-même de prosélytisme, je me contenterai de considérer les intentions de vote pour Bayrou[*] et partant de là de poser quelques affirmations élémentaires, mon cher Watson : Le degré de rapiéçage de cette société nous fait nous focaliser sur la qualité de la couturière, qui n’est pas sans importance, ceci dit. Mais le tissu, les machines qui tissent, coupent et assemblent (car les tricots ménagers ne font plus le gros des garde-robes), nous apparaissent au loin, dans un brouillard indécis comme si tout transitait fécondement et directement  du Bonheur des Dames et de la mercerie du quartier vers nous.
 

Il y a une croyance instituée (que les pourfendeurs de religions veuillent bien noter ce terme, « croyance »),  que le gouvernement des « couches moyennes », (mais toute croyance est sujette au doute) avec une petite ou grosse dose d’alliances opportunes avec
la France
d’en haut ou
la France
d’en bas, selon les cas, pourrait remplacer la dictature du prolétariat qui a si bien montré son incapacité, ses dangers et sa monstruosité.
 

Il faut dire aussi que les interprétations des réflexions auxquelles Karl s’adonnait pendant et après la guerre civile en France (celle de 1871), ont été sacrément triturées, malaxées, alchimisées, et finalement normalisées pour prendre une sale gueule quand il s’est agi de faire cadrer la volonté de l’élite de substitution avec la volonté de la population réelle ; et que la dictature du prolétariat était dans l’esprit finalement très moral des fondateurs du socialisme et du mouvement ouvrier, autre chose qu’une organisation de la contrainte par toutes les formes de violence possibles. Soyez rassurés, ma croyance personnelle (la votre peut-être) est dans l’auto-régulation de l’individu par lui-même des activités productives dans le cadre d’une cohérence démocratiquement concertée et expérimentée.
 

Mais tout cela ne lève en rien à l’absurdité d’un gouvernement de couches moyennes, ou plutôt d’un éventuel gouvernement que ces couches sociales ressentiraient par avance comme correspondant le mieux à leur être profond. Encore une fois, ces milieux sociaux n’ont rien à envier à l’état des autres parties de la population. Dans la confusion et l’incohérence, qui peut se targuer d’aller vers un point alors que la foule se mêle dans tous les sens à la désorientation générale ? On peut même dire que les repères des enseignants ne sont pas des plus imprécis : distribuer un savoir avec comme principe (pas comme réalité absolue, hélas) la gratuité de ce savoir n’est pas ce qui trouble le plus la mixture ; de même leur tradition syndicale de pluralisme reposant sur des courants de pensées qui en fin de compte font les amène à faire des efforts pour travailler ensemble à de mêmes buts.
 

Le champ de l’enseignement ne suffit pas cependant à illustrer la globalité du champ social et de sa cohérence. Car, en fin de compte, il a une cohérence à ce champ général, celle de l’oligarchie financière pour laquelle la production, et la production de qualité, en abondance et dans les conditions d’un développement durable, ne constitue plus la base de son enrichissement primitif personnel qu’on pouvait lui disputer en s’organisant syndicalement (entre autre).
 

Alors, gouvernement des couches moyennes ou dictature du prolétariat ? Lutte des classes ou rapiéçage des lambeaux qui nous sont présentés ? Si nous tardons à y répondre, la fenêtre de lancement de la fusée sociale risquera d’être fermée. Ces erreurs et  crimes d’hier, réels c’est sûr, on nous les a servis et resservis pour nous voiler les réflexions et les choix différents de la norme dans laquelle nous vivons. Il est bien certain que ces crimes, nous ne voulons pas en faire notre choix et les rejetons, mais il est bien certain aussi que le parti du salariat au sens le plus large qui soit, son retour, ont toutes les chances d’être l’opportunité sur laquelle il nous faudrait nous interroger.
 

Un parti du salariat ouvert sur l’Europe, sur le monde. Un parti du salariat qui ne soit pas une institution close. Un parti du salariat favorisant la multiplicité et la diversité des approches, leurs constitutions dans un pluralisme organique. Il y a sans doute dans la division des collectifs unitaire de ça : « gouvernement des couches moyennes ou dictature du prolétariat ? », plus des visées personnelles, légitimes sans doutes. C’est le contexte qui détermine l’égoïsme ou le comportement solidaire d’une personne ou d’un groupe. L’histoire emporte l’individu dans une direction, mais l’individu contribue à cette direction, re-mais le mouvement d’ensemble, lorsqu’il répond à une aspiration  le libère de ses propres préjugés.
 

Quel courant historique peut se prévaloir de l’innocence, se déclarer sans crime, ou se prévaloir de la petite taille de ces crimes ? Simple réflexion pour s’en prémunir. Les alliances entre le grand capital allemand et au-delà de l’Allemagne, avec le nazisme étaient sans doute hors normes, mais jusqu’à quel point ? Les affrontements mondiaux du XX° siècle avec leurs séquelles-continuation actuelles, ne portaient-ils pas en eux les stigmates de cette norme ?
 

En attendant il nous reste moins de deux mois pour ne pas favoriser un opportunisme de premier tour sans lendemain, sans toutefois négliger les conditions unitaires de rejet au second tour d’une guerre des pauvres et contre les pauvres dans laquelle la démocratie subirait un immense recul préjudiciable à tous.
 

Peut-être les enseignants ont-ils les outils (pluralisme, sens du service public, avec d’autres d’ailleurs), mais pas les champs, alors que d’autres ont le champ et pas les outils….
 

On m’a toujours dit le forgeron et le laboureur complémentaires, disons carrément indissolubles
 


 

Pierrot, T.O.S. syndicaliste et retraité,  
la Madrague
de Montredon. 28 février 2007
 


 



[*] PARIS, 27 fév 2007 (AFP) - François Bayrou (27%) talonne Ségolène Royal (31%) dans les intentions de vote des enseignants au premier tour de la présidentielle, selon un sondage Ifop pour Le Monde de l'Education et LCP-AN rendu public mardi.
 

Au second tour, la candidate socialiste l'emporterait chez les "profs" face à Nicolas Sarkozy (UMP), par 62% contre 38%.
 

Mme Royal arriverait en tête au premier tour, suivie du candidat UDF, tous deux devançant nettement M. Sarkozy, à 19%.
 

Loin derrière arrivent Dominique Voynet (5%), Marie-George Buffet et Olivier Besancenot (4%), José Bové et Jean-Marie Le Pen (3%), Corinne Lepage (1,5%), Arlette Laguiller (1%), Gérard Schivardi, Nicolas Dupont-Aignan et Philippe de Villiers (0,5%), ainsi que Frédéric Nihous (0%).