Réaction pour le séminaire-projet
Chère camarade,
Pensant qu’un parti socialiste doit être un intellectuel collectif, je ne crois pas être en contradiction avec ce principe en vous faisant part d’un certain nombre de remarques.
Le parti est en train de payer, sans crédit, des erreurs d’orientation redoutables et qui l’eussent tué s’il n’était pas encore, la seule possibilité crédible d’alternative gouvernementale à la droite ; d’alternative et non pas d’alternance, car les Français, malgré les efforts permanents déployés par ceux qui n’ont pas objectivement intérêt à ce que les choses changent en profondeur, avec l’appui des media dans la mise en scène de l’Etat-spectacle, se soucient assez peu de savoir qui raflera la mise dans la distribution des sinécures de la République, et il n’en manque pas, ou pour bénéficier de 6 lignes du Petit Larousse dans trente ans, ou dans son équivalent sur internet. La politique n’est pas une affaire de casting à refaire à chaque élection comme à chaque film…
Ils ont évidemment raison et ils s’en soucient encore moins dans une période de crise mondiale et avec la perspective de compter plus de 3 millions de chômeurs avant Noël.
Pour suivre l’ordre de votre courrier, l’échec du 7 juin était si bien prévisible que la candidate de 2007, n’a pas jugé bon de mettre son sens réel de la communication au service de la campagne de son parti. Pas davantage les « barons provinciaux » qui ont, certes, cru devoir dénigrer les abstentionnistes, dès le 8 pour certains, sans la moindre autocritique quant à leur propre implication dans la bataille des européennes.
Or le caractère massif de l’abstention, même inscrit dans une tendance, observable ailleurs qu’en France, de défiance à l’égard de la « gouvernance » européenne, n’a pu être combattu par ceux-là mêmes qui, ayant refusé de tenir compte du résultat du référendum de 2005, ont permis au Président de la République d’éviter le recours à une seconde consultation du peuple souverain, et ainsi imposé le traité de Lisbonne, à une majorité de citoyens qui n’en voulaient pas.
L’argument utilisé par certains hiérarques du parti, jeunes ou moins jeunes ambitieux, que l’élection de Sarkozy lui donnait la légitimité d’appliquer son programme, dont la ratification du traité par la voie parlementaire est un sommet de sottise politique ou de trahison des électeurs ou de refus d’analyser les raisons de l’échec de l’élection de 2007 !
Le combat politique n’est pas suspendu entre deux élections, et la seule légitimité est celle de l’élu, car il en faut un, son programme ne pouvant, en aucun cas, être un impératif pour un autre que lui-même, programme à vrai dire dans ce cas assez éloigné dans sa réalisation des principes républicains voire sociaux, énoncés dans la rhétorique « merveilleuse » des discours de campagne du candidat Sarkozy.
En revanche, cette révérence dispense de dire clairement que le Parti avait choisi une candidate dont le seul potentiel était la place que lui conféraient des sondages si nombreux que leur multiplication participait de leur résultat.
Autrement dit que face à un candidat qui s’appuyait sur un projet politique, en partie fourni clés en mains par le projet de refondation sociale de M.Kessler et du Medef, projet disposant donc d’une base sociale, le PS n’avait à proposer qu’une icône sans message.
Le programme du parti était « illisible » quant à un impact positif sur les Français, la candidate en outre s’en étant, avant même le premier tour, affranchie sur bien des points.
Le lien de confiance entre le parti et les Français suppose d’abord qu’il y ait un parti et que ce parti soit porteur d’un projet disposant d’une réelle base d’intérêts objectifs convergents du plus grand nombre des Français.
L’intérêt général si souvent invoqué, mais rarement véritable moteur de choix, n’est ni la somme d’intérêts individuels, ni une construction abstraite sans racines populaires et citoyennes.
Or, et ce n‘est pas une situation inédite dans l’histoire du mouvement socialiste en France, notre parti est devenu à bien des égards un parti d’élus, plus soucieux de leur réélection locale que d’une réflexion sur un nouveau modèle de société.
S’il est un référendum gagnable, c’est bien celui qui proposerait au peuple la fin réelle du cumul des mandats dans l’espace et le temps ! Mais pour cela il faudrait que tous les partis assument les conséquences de ce choix, en termes de renouvellement, de rajeunissement, quoique quant à cet aspect des choses et comme le chantait Brassens, « le temps ne fait rien à l’affaire », de rotation et acceptent, enfin, de discuter coram populo d’un statut de l’élu, régime de retraite inclus. Il faudra bien trouver des arguments théoriquement recevables pour traiter des propositions de M. Balladur sur les collectivités territoriales… et sans attendre, alors qu’un projet de loi risque de mettre à bas le statut de la fonction publique territoriale et de multiplier les dérives clientélistes observables dans toutes les collectivités territoriales, même gérées par des élus socialistes, que dit le PS ?
A défaut de parler du fond, il arrive aussi que des camarades du parti préfèrent parler de stratégie d’alliance.
Le 7 juin a éclairé les plus sincères d’entre eux sur précisément ce point de la stratégie : l’hypothèque Modem est levée, même pour un deuxième tour, et l’identité du parti doit être à gauche… écologie comprise.
M. Cohn-Bendit, outre son abattage et sa rouerie de bateleur, disposait avec Mme Eva Joly de l’incarnation de la lutte contre la corruption. Et cela a joué d’autant plus, qu’il y eut plus d’abstentions…
C’est donc sans avoir peur de s’affirmer comme un parti du changement réel, réaliste et social que le parti doit se doter des outils efficaces pour que massivement les électeurs le retrouvent.
Cela passe par des engagements clairs :
Le bouclier fiscal sera supprimé et la progressivité raisonnable de l’impôt direct, source de la solidarité dans une société civilisée, élargie.
L’emprunt européen proposé par le PS est devenu un emprunt français dont l’affectation du produit reste floue, mais un emprunt bien couvert met toujours en évidence l’existence de fonds disponibles ; il convient d’en tirer quelques conséquences pratiques, y compris pour la politique fiscale de la France !
Si même le sénateur Marini pense qu’il faut « réinventer le système fiscal, en privilégiant une assiette plus large et des taux raisonnables », il convient que le parti réaffirme avec force la justice et la nécessité du caractère redistributif de l’impôt.
La protection sociale n’est pas une variable d’ajustement dans la redistribution des richesses : elle l’est d’autant moins que la financiarisation accrue de l’économie, l’irruption massive du virtuel redonnent tout son poids à la formule utilisée par François Mitterrand à propos de ceux "qui s’enrichissent en dormant".
Il est assez clair que ce n’est ni par le travail ni par l’épargne qu’on peut, à l’échelle de l’individu, s’enrichir ; autre chose est le travail social et collectif qui fait la richesse des nations en même temps qu’il assure la profitabilité du capital.…
La question des retraites est une fois de plus présentée de manière biaisée par le gouvernement qui ne veut pas élargir les sources de financement ; la retraite est un salaire continué, elle est au même titre que le salaire d’un actif, une rémunération du travail humain.
L’argument démographique n’étant pas recevable puisque la population française, non seulement s’accroît mais connaît un renouvellement des générations grâce à un taux de natalité plus élevé que dans le reste de l’UE, la seule proposition d’un allongement de la durée d’activité pour une retraite à taux plein est une véritable provocation :
d’abord parce que le système de décote est mortifère pour le taux de remplacement et a abouti par la baisse des pensions servies à la mise en place d’un mécanisme d’appauvrissement continu des retraités récents et à venir, encore plus pour les femmes et mères de famille, dont par ailleurs les annuités sont plus rarement complètes.
Ensuite parce qu’il est constant que les entreprises françaises ne souhaitent pas conserver leurs seniors et s’affranchissent de toute politique de formation continue pour leurs agents quadragénaires ;
enfin parce qu’il est inconcevable de penser que le PIB de la France stagnera dans les 25 ans à venir et que l’actuelle répartition des richesses est intangible, la démonstration ayant été faite, en France au moins, que les gains de productivité transférés sur la rémunération des actionnaires ou du management n’avaient été accompagnés d’aucun investissement supplémentaire significatif pour la recherche et le développement. Comme si le capitalisme patrimonial et financiarisé à outrance, sans aucune régulation crédible (il faut se souvenir de certaines déclarations précisément d’Eva Joly sur les paradis fiscaux), se désintéressait de l’apport qu’une économie de la connaissance pourrait constituer pour le bien de l’humanité !
Rémunération du travail donc, et progrès social, et progrès tout court… Que serait un PS qui ne croirait pas au progrès ?
Le progrès dans la démocratisation de la société, dans le développement des solidarités voilà ce dont doit être porteur le PS.
Le droit du travail (modification des seuils pour les négociations de conventions collectives, absence imposée de facto de toute section syndicale et pas seulement dans les TPE, etc), la médecine du travail (flicage des malades, non déclaration des AT, refus de prendre en compte le harcèlement …) sont marginalisés, manipulés ; il faut que l’entreprise cesse d’être trop souvent un lieu dans lequel l’égalité des citoyens, le respect des droits, la loi au sens de l’intérêt général, bref le simple respect humain soient bafoués.
Cela suppose aussi que « les trucs et astuces pour fermer une usine » constituent autant de délits, que les équipes d’enquêteurs spécialisés dans la délinquance financière soient reconstituées et élargies, que les juges d’instruction, à défaut de l’indépendance du parquet, continuent non seulement d’exister mais voient leur corps considérablement accru.
L’évasion fiscale représente des centaines de milliards d’euros à l’échelle de l’UE. Quel gouvernement responsable et soucieux des intérêts des peuples dont il est le mandataire peut tolérer cela indûment et sans risque majeur pour, vraiment cette fois, sa « légitimité » ?
Le dialogue social pour le PS, c’est aussi pour ce qui le concerne, la nécessité d’être à l’écoute des organisations syndicales représentatives, secteur par secteur… fonction publique comprise !
C’est vrai en matière d’Education nationale (des élections ont eu lieu en décembre 2008 !), c’est vrai pour l’hôpital (pourquoi les intérêts mercantiles de l’hospitalisation privée pèsent-ils plus dans la formation de l’opinion des élus que l’analyse des conditions de travail dénoncées par les personnels soignants, urgentistes ou pas ?), c’est vrai dans la réflexion sur un 5ème risque, alors que les taux d’encadrement des maisons de retraite médicalisées sont au-dessous du médiocre, que le turn over de personnels mal formés y est la règle, de même que les tarifs d’hébergement élevés ?
Mettre en exergue le scandaleux refus de soins pour les bénéficiaires de la CMU d’un quart des médecins parisiens, ne saurait cacher le caractère pernicieux de la loi Bachelot.
La rénovation du PS passe d’abord par son ouverture sincère aux classes moyennes, au monde salarié, c’est-à-dire à l’écrasante majorité des Français. L’expérience prouve que leurs revendications sont fondées et c’est avec ceux qui les portent en leur nom qu’il faut relancer le débat ; on a parlé souvent de la faiblesse des corps intermédiaires, les syndicats en sont les plus susceptibles de contribuer à une construction nouvelle de notre modèle social.
Mais la confiance se mérite, et il ne s’agit pas ici d’évoquer la complaisance automatique ou la critique péremptoire mais non suivie d’effets de tel ou tel leader plus ou moins médiatique ; il s’agit de regagner la confiance des salariés en tant que tels, individus inquiets, souffrants mais espérant…Ce qui signifie qu’un élu doit aussi être sur le terrain, à l’écoute des luttes, des demandes, des propositions… Nous en connaissons tous qui n’y sont jamais…Et la remise en cause du cumul des mandats permettrait aussi de ne plus avoir de fausses excuses sur ce point !
Il reste peu de temps pour travailler en vue des élections régionales et ce n’est pas la questions des alliances qui est la première à régler : c’est celle de la présence visible du parti auprès des électeurs, en tant que citoyens, en tant que salariés, en tant que fonctionnaires, en tant que parents, en tant qu’étudiants, en tant que patients, en tant qu’usagers des services publics massacrés…
Cette présence constante, cette reconnaissance ne sera-t-elle pas la meilleure façon de revitaliser un parti qui dès lors pourra puiser en son sein la force tranquille requise pour se trouver un candidat en 2012 ? Au lieu, comme en 2006 de croire aux sondages et de ne plus jouer son rôle de parti contribuant à l’expression des suffrages ? Si les sondages devaient à nouveau prévaloir sur les militants, alors on pourrait dire effectivement que le parti a achevé sa mue et par conséquent qu’il n’est plus ! Pas même une star'ac politique… dans ce cas il faudrait dire politicienne tout au plus.
Certains ont en tête les primaires à l’américaine : il faudrait se souvenir que la République française n’est pas l’Union de 50 états fédérés, chacun ayant des règles du jeu particulières, que le Président des Etats-Unis a des pouvoirs certes vastes, mais strictement encadrés, que la citoyenneté française n’a rien à voir avec le patriotisme à l’américaine, que la société française, l’histoire sont autres etc…
En ces matières les copier-coller sont toujours l’expression d’une paresse de l’esprit ou un déni du réel. Et puis cela traduit aussi, si l’on s’en tient à l’élection de l’automne 2008, une bien étrange absence de modestie…
Oui, la social démocratie a « faibli sur ses valeurs » et n’a pas « su renouveler ses réponses » , mais la social démocratie a surtout oublié qu’une référence doctrinale n’est pas inutile, la lecture du réel en politique étant rarement univoque.
La pensée unique ou la political correctness dévoyée ne peuvent tenir lieu d’analyse critique ni de philosophie politique. L’histoire n’est pas finie.
Une bonne nouvelle cependant, l’annonce du dépôt d’une motion de censure, occasion de mettre en relief les contradictions évidentes entre le discours du président, à l’OIT par exemple, et la réalité de la politique qu’il conduit…
Croyez , chère camarade, à la sincérité de mon engagement socialiste
Jean-Paul Beauquier
commenter cet article …