La machine centriste est relancée. Dès le soir des élections européennes, le plateau de France 2 est, à gauche, offert à ses machinistes : Cohn-Bendit, jovial, Valls et Peillon, avec de faux airs de gravité, Moscovici aussi… Tous en appellent à un sursaut dans le domaine des idées et des propositions. Mais ils font curieusement passer une dimension stratégique au premier plan : la nécessité de se rassembler à gauche, mais avec le « centre » bien sûr.
A qui sert le centre ?
Dans Libération, le surlendemain (9 juin), Cohn-Bendit confirme : « Dire qu’il faut un espace politique commun, c’est vrai. Le problème est que cela ira du Modem, en passant par nous, au PS et à toutes les forces de la gauche ». Joffrin renchérit dans son éditorial. Cela commence ainsi : « Tous ceux qui, en France, souhaitent une société plus humaine, plus juste, une société qui maîtrise la machine économique au lieu d’être asservie par elle, peuvent se retrouver. Ils sont divers. » A ce niveau de généralité, la terre entière peut en effet se retrouver. D’où la suite : « Ils ont voté Besancenot ou Bayrou, Aubry ou Cohn-Bendit ou encore Mélenchon. » CQFD… les électeurs votant, si l’on suit ce raisonnement, à peu près n’importe comment.
Sur le plateau de France 2, Cohn-Bendit passe par une autre porte : pour empêcher Barroso de reprendre la tête de la commission européenne, il faudra bien une alliance ne se limitant pas à la gauche. Bien tenté. Pourtant, une attitude de circonstance, peut-être nécessaire, ne peut illustrer ni justifier une perspective de principe. Son interview dans Libération, à ce sujet, montre au passage les limites de sa vision du politique. Pourquoi se mobiliser contre Barroso ? Parce qu’il serait trop louvoyant, indigne de confiance et pas assez maître de sa commission. Même De Villepin, le 10 au matin sur France Inter semble plus politique et même plus à gauche que le leader écologiste : Baroso, trop libéral, trop « atlantique ».
On constate en outre que si la justification de Bayrou par l’importance de son score ne tient plus depuis l’après présidentielles, la même argumentation continue.
Il faut alors oublier l’Italie, où la gauche disparue dans la stratégie « démocrate » ne se renforce pas, et l’Allemagne, où le SPD gouverne avec la droite, sans se renforcer non plus.
Il faut surtout faire comme si le vote pour le Modem n’était pas, pour l’essentiel, un vote de droite. La droite en France serait donc tombée à l’ensemble UMP – FN – conservateurs souverainistes. La belle affaire. Certes un électorat flottant a toujours existé. Par ailleurs, des électeurs se voulant plutôt de gauche peuvent faire ponctuellement des calculs les amenant à voter hors de la gauche. Cela ne signifie pas qu’un centre, dont l’essentiel de l’électorat et des idées ne seraient pas de droite, se soit mis à exister.
Le bilan du report des voix du Modem, lors des dernières élections présidentielles, l’a rappelé, sans surprise. Le 7, beaucoup d’électeurs ayant choisi le Modem aux présidentielles se seraient reportés sur les listes d’Europe Ecologie, cela ne concernant tout de même que 19% des électeurs de Bayrou (contre 25% des électeurs de Royal, d’après un autre article du Libération du 9). Soit. Cela pourrait confirmer nos précédentes affirmations et prouver que l’on peut reconquérir des électeurs tentés par le centre-droit sans avoir à s’allier avec lui.
L’éventualité d’un centre échappant à la logique droite/gauche a vite été écrasée par l’histoire et le jeu politique. Il reste un argument de façade, notamment en France, pour des forces ou des personnalités qui cherchent à se démarquer. Sur certains points et selon les circonstances, elles peuvent se retrouver moins éloignés de la gauche, mais elles restent, en substance, démocrates-chrétiennes, conservatrices, orthodoxes et néolibérales sur le plan économique.
L’argument vaut aussi pour ceux qui, (encore) à gauche, croient en d’autres logiques de confrontation politique et qui veulent moins enrichir le contenu de la gauche que la vider de la plupart de ses principes fondamentaux. Ils ont besoin pour cela d’alliés dans un éventuel rassemblement. Il leur faut bien les chercher à droite.
Droite et gauches
La droite, en France par exemple, bien canalisée par l’UMP, n’a pas négligé le fait que la politique se faisait avec des fondamentaux, évidemment modernisés, avec des partis et des alliances bien organisés et clairs, sans foutues histoire de « primaires » ouvertes à on ne sait trop qui, pour désigner des candidats. Elle a su apparaître en outre comme la force politique, au pouvoir, capable de faire face à la crise, en faisant quelques pas, inévitables à moins d’aimer les catastrophes absolues, vers un « plus d’Etat » de façade. L’image classique des bons gestionnaires conservateurs est remise à jour.
Pour la forme, en France, ou ailleurs, la politique spectacle et le storytelling tiennent lieu de communication. Mais est-ce cela que les citoyens attendent de la gauche ?
Parallèlement, les dérives des socialistes et des sociaux-démocrates des années 90 et au-delà, abandonnant les politiques, les analyses et les repères que la crise devrait réhabiliter aujourd’hui, constituent le substrat des échecs actuels.
Le signe, malgré les limites de la représentativité du vote du 7 juin, s’il est spectaculaire, n’est qu’une preuve de plus. Il est évident en France, que 2002 et 2007 étaient bien plus graves et significatifs… même si certains et certaines vont chercher à présenter 2007 comme un relatif succès. On connaît déjà cet air là.
Pourtant, pour rester en France, il ne faudrait pas s’y tromper : les « autres » gauches participent du problème. Les doctrines qu’elles ont continué à suivre les ont lesté et ne peuvent convaincre et mobiliser la masse de la société. L’influence de cercles militants assez étroits ne suffit pas. Ainsi le néo-communisme du PCF, même adjoint du « philo-communiste » PG, continue seulement de survivre, péniblement, malgré des efforts de renouvellement des formes, plus ou moins identiques. On pourrait penser que, dans l’espace politique, le Front de gauche n’a fait que prendre la suite des tentatives du PCF d’ouverture : ouvertures « citoyennes » un temps, tentative de contrôle des antilibéraux aux dernières présidentielles… L’effet reste en gros le même, quasi nul, parfois pire que cela, au mieux médiocre. Même si la tentation est grande de « s’auto-rassurer » et par des calculs savants, de se prouver qu’il y a bien un nouveau départ. Encore un…
L’extrême-gauche et/ou le gauchisme – le NPA mélangeant les deux à la fois – ne décollent pas depuis 30 à 40 ans, malgré, quand les 5% sont proches, quelques effets médiatiques… peut-être déjà en train de s’user.
Pour certains, tout cela ne prouve rien. Certes la démocratie ne se réduit pas au vote. L’influence sur le débat public et la volonté générale est essentielle aussi. Mais cette influence doit pouvoir tout de même se mesurer, et la démocratie n’a pas de sens sans le vote. Surtout, analyser les idées, le fonctionnement partisan et les projets, l’influence réelle sur la société, des uns ou des autres, serait peut-être tout aussi cruel… Taper sur le PS est souvent nécessaire. C’est aussi souvent le moyen de se rassurer et de se donner bonne conscience, seuls contre tous.
Le renouvellement semblait pourtant d’actualité à gauche : rénovation au PS, « nouveau » parti anticapitaliste, Front de gauche tout neuf… Seule Europe Ecologie a raflé la mise et canalisé le peu d’enthousiasme qui s’est manifesté pendant l’élection.
Qu’est-ce que cela prouve ? Peut-être pas l’utilisation qu’en fait son principal leader, « Dany », puisque comme « Ségolène » on l’appelle beaucoup par son prénom. L’électorat des listes vertes est-il solide ? A-t-il souscrit à une volonté d’alliance avec le centre droit ? A-t-il choisi une liste qui lui semblait plus européenne que les autres ? N’a-t-on pas affaire pour l’essentiel, et plus simplement, à une mobilisation plus forte du cœur de l’électorat écologiste, renforcée par un autre se détournant, non sans raisons ( !) du PS, pas plus tenté qu’avant par le néocommunisme ou l’extrême-gauche, et soucieux – ouf ! – des problèmes d’environnement ? Tout cela, dans une élection aux enjeux objectivement limités, dans lesquelles on sait par expérience que les votants ont tendance à se « lâcher » (rappelons-nous Tapie pour les radicaux de gauche) ? L’effet de séduction a pu faire le reste. Ce ne serait pas la première fois que des élections européennes se retrouvent à classer sans suites.
La vérité (du 7 juin) est ailleurs ?
Pour les 16% d’Europe Ecologie, il semble en tout cas imprudent, excessif et prétentieux de crier à la victoire et à l’« innovation » réussie, comme le font les écologistes et comme vont le faire bien des partisans de la ligne centriste.
Seuls les écologistes auraient vraiment parlé de l’Europe. C’est sans doute faux en bonne partie : le PS défendait un manifeste européen, le Front de gauche argumentait beaucoup à partir du traité de Lisbonne… De toute façon, l’européisme pourrait-il tenir lieu, en soi, de positionnement politique ? C’est le contenu qui compte. Passons.
Où serait ensuite l’enseignement de ces 16% ? L’unité est une vertu. Ça alors. L’environnement, c’est important. Ah bon ? Avoir des têtes de listes motivées c’est mieux. Sans blagues. N’est-ce pas cela que les électeurs ont d’abord vu ? La gauche avait-elle besoin de l’apprendre ? De là à en tirer des conclusions organisationnelles et programmatiques profondes…
Car le plus évident, le plus énorme, le plus incontournable, c’est 60% d’abstention. La prime va à ceux qui ont mobilisé, mais un tout petit peu. On ne peut parler là d’une véritable image de la société et de ses besoins, ni d’une manifestation crédible de la volonté générale.
Rien ne serait plus dommageable, par exemple, qu’un écologisme non pas inscrit dans la question économique et sociale, mais primant sur elle. Rien ne serait plus dommageable qu’une vision du politique, au nom par exemple de « l’Europe », mettant au second plan la question de l’Etat et donc des enjeux étatiques nationaux. D’un point de vue réaliste, ce n’est pas dans son Parlement que se jouera l’avenir de l’UE et de ses nations, mais dans la relation entre Etats, entre Etats et institutions supranationales réellement détentrices de pouvoir.
Ce qui peut satisfaire la conscience et la curiosité d’un électorat bobo n’est ni une donnée solide, ni une perspective suffisante. Tant mieux s’il choisit la gauche. Mais qu’ont fait les classes populaires et la majorité des classes moyennes ?
Et après tout, qu’est-ce qui justifierait l’alliance avec le centre ? La société a-t-elle besoin de cela ? Un électorat pourrait-il s’y reconnaître sans être perdu ? Les électeurs qui ont voté pour des listes menées, entre autres, par Eva Joly, savaient-ils qu’elle avait d’abord fréquenté le Modem ? Ont-ils voté pour elle pour cette raison, ou parce que sur une liste écologiste, elle était simplement identifiée à une partie de la gauche ?
Et par-dessus tout, la gauche a-t-elle besoin du centre-droit pour renouveler ses idées et entraîner la société ? La majorité ne se conquiert pas à partir d’un calcul rapide d’addition de pourcentages, d’autant plus quand il ne marche plus beaucoup (le Modem est tombé bien bas). Il s’agit de mobiliser la société et le corps électoral. Répétons-le : a-t-on besoin du centre pour cela ? Et regardons-le bien : la réponse est pour nous dans la question.
La peur (de revoir Sarkozy triompher) peut faire croire bien des choses. Elle peut difficilement tenir lieu de pensée. Elle peut, par contre, être utilisée… par ceux-là même qui fustigent un anti-sarkozysme primaire, que l’ensemble de la gauche a pourtant à peu près évité lors des élections européennes. Qui a dit manipulation ?
SB
NB: Le texte De l'impôt est extrait d'un chapitre du livre d'Adolphe Thiers, publié en 1848, De la Propriété; l'un de vous a repéré l'auteur, sinon la référence, il est vrai difficile. JPB
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