L’anomalie démocratique
On peut reprocher à Lionel Jospin d’avoir trouvé à propos du Sénat, la bonne formule et de n’avoir sans doute pas assez essayé d’y porter remède ; le président Chirac ne l’aurait sans doute pas encouragé dans cette voie, et le souvenir du référendum de 1969, qui provoqua le départ de De Gaulle, pouvait peser dans la balance mais enfin, une décision politique se prépare, par exemple par un travail d’information et de mobilisation idéologique ; quel Français, quel citoyen dira que le Sénat a un rôle essentiel ou simplement utile à jouer quand plus des deux tiers des lois sont des mises en forme françaises des directives européennes à la rédaction desquelles le gouvernement a déjà donné son aval? Deux assemblées pour cela ?
Si, seul, un référendum peut passer outre l’obstruction des Sénateurs sur leur propre réforme, l’opinion publique aurait pu être appelée à réagir, pour une fois sur un projet utile et peser ainsi sur les partis politiques et leurs élus. Rien n’a été entrepris.
Le Sénat représente les territoires : c’est cela même qui n’a pas de sens dans une république véritable, une et indivisible, si l’on considère le Sénat comme un législateur.
Le texte du 4 octobre 1958 disait dans son titre IV, art. 24, alinéa 3 : « Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis à l’étranger sont représentés par le Sénat.».
L ‘article 25 précise qu’une loi organique « fixe la durée des pouvoirs, le nombre des membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ». La loi organique fixe également les conditions du remplacement des députés ou sénateurs en cas de vacance du siège « jusqu ‘au renouvellement général ou partiel »…
C’est une autre loi organique, prévue par l’article 23, qui a été utilisée, car elle ne nécessite pas une majorité des trois cinquièmes, pour avaliser le retour sans élection partielle sur leur siège des ministres remerciés. On doute que les pères de la Constitution eussent approuvé ce fâcheux retour à la IV ème république… voire aux habitudes de la monarchie de Juillet.
Des modifications ont été apportées, la réduction progressive du mandat sénatorial à 6 ans étant la seule qui puisse améliorer la démocratisation de cette assemblée en accélérant les rotations.
Ce qui est évident cependant, c’est qu’une loi organique suffisant à modifier les principes de fonctionnement du Sénat, la seule nécessité est bien celle d’une majorité conforme dans les deux chambres législatives.
Rappelons enfin que le Conseil constitutionnel et le Conseil économique et social ont été réglementés par des Ordonnances portant loi organique.
En clair, s’il y a une majorité disciplinée, le chef de l’Etat peut effectivement modifier la donne.
De Gaulle, en 1969, avait pu constater que la discipline n’empêchait pas les blocages « corporatistes », pour demeurer courtois avec les Sénateurs d’alors et leurs alliés politiques aussi bien à droite qu’à gauche.
L’articulation des collectivités territoriales et du Sénat
Au moment où le président de la République a confié à M.Edouard Balladur la présidence d’une commission chargée de faire des propositions sur les collectivités territoriales, pour mémoire rappelons que la commission Attali propose la suppression de l’échelon départemental et que, pendant la campagne présidentielle de 2007, François Bayrou avait proposé de fusionner les emplois des personnels des Conseils régionaux et des Conseils généraux, il convient de repenser à ce référendum du 27 avril 1969.
Si beaucoup de citoyens intéressés par la vie politique, sont persuadés, en particulier à gauche, que la mission vise à explorer les voies et moyens pour redonner à la droite une partie des régions perdues en 2004, elle peut aussi être inscrite dans une amélioration de la « gouvernance territoriale », la question budgétaire dans la RGPP, n’étant pas a priori synonyme de recul démocratique.
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le projet de loi soumis à référendum en 1969 était « relatif à la création des régions et à la rénovation du Sénat ».
Chacun se souvient que la montée au créneau de tous ceux qui se sentaient menacés ou qui voyaient dans l’affaire une occasion de se débarrasser d’un personnage trop encombrant ne portait pas sur la création des régions, même si les conseils régionaux prévus étaient composés en juxtaposant des élus et des représentants des activités économiques et sociales (ce qui correspondrait au dédoublement mis en place depuis, de conseils régionaux élus et de cesr désignés).
La cause majeure de la mobilisation des notables, y compris, hélas des notables de gauche, était bien dans leur opposition à la disparition de la deuxième chambre législative.
Le titre II du texte soumis aux électeurs, intitulé Du Sénat commence par un article d’ailleurs absolument éclairant sur ce point : en cas de vacance de la présidence de la République, les fonctions de Président étaient « provisoirement exercées par le Premier ministre ou, si celui-ci en était empêché par un des membres du Gouvernement dans l’ordre du décret qui les a nommés » (1).
Le Président du Sénat n’était plus appelé à cet intérim, exercé ensuite deux fois, en 1969 et en 1974.
Le Sénat devenait donc chargé d’assurer « la représentation des collectivités territoriales et des activités économiques, sociales et culturelles » et les sénateurs étaient soit élus au suffrage indirect, pour ceux représentant les collectivités territoriales, soit désignés par des organismes représentatifs, y compris pour les sénateurs représentant les Français établis à l’étranger.
La loi était donc désormais votée par l’Assemblée « après avis du Sénat »..
Cela représentait en fait un retour à un principe fondamental de la République, sa nature « une et indivisible ».
Ce sont les citoyens qui détiennent la souveraineté dont l’exercice est confié aux élus du peuple.
La France n’est pas une communauté de territoires, même s’il peut être utile voire judicieux d’en distinguer, pour une meilleure administration. Le corollaire en est que le mode d’élection des Sénateurs, à partir du moment où ils ne donnent que des avis quant au travail législatif, devient effectivement secondaire .
République citoyenne ou pas ?
Mais la conséquence majeure est d’une part que les collectivités territoriales, rouages et non entités en soi, n’exercent que des compétences déléguées par la loi ; d’autre part qu’à partir du moment où l’élection est prévue pour leurs composants, celle-ci doit être au suffrage direct.
Indirect sur indirect ne convient pas à un état démocratique et la remise en cause du mode de scrutin régional utilisé en 2004 constituerait une régression indéniable.
La loi PLM a instauré pour le découpage en secteurs de Paris, Lyon et Marseille, deux catégories d’élus : ceux qui sont appelés à siéger directement au conseil municipal, ceux qui ne peuvent siéger qu’au conseil d’arrondissement ; la tentation d’utiliser le procédé pour faire des conseils généraux des subdivisions de régions comme les arrondissements le sont des 3 communes citées plus haut, serait un déni historique de l’antériorité départementale dans les règles d’administration et de délégations de compétences mais aussi un bouleversement dans l’inconscient collectif des Français.
La suppression des cantons, acquise à partir du moment où on instaurerait un scrutin de liste, n’aurait de sens ou n’apparaîtrait comme un progrès que si elle s’accompagnait d’une refonte complète de la carte des communes et la mise en place d’élections réelles pour les communautés diverses qui les ont de fait remplacées pour l’essentiel de leurs compétences.
Le traitement de la question par le seul mode électoral, suspect à juste titre d’arrière-pensées, ne répondrait qu’à des nécessités politiciennes mais assurément pas aux exigences d’une réforme de progrès.
Un Sénat, conseil des territoires ? De quels territoires ?
La chose pour nous est entendue, un conseil des territoires n’a pas à avoir part au travail législatif en tant que législateur, même si, comme aujourd’hui, le dernier mot est celui de l’Assemblée. La France n’est pas une fédération.
Il est clair en outre que la répartition actuelle des responsabilités dans les collectivités territoriales, après les élections régionales et cantonales de 2004 ou municipales de 2008, ne permet pas de dire sérieusement que le Sénat représente les territoires, sauf si l’on songe à des territoires vides, comme il existe dans l’Eglise des prélatures nullius.
En tout état de cause le mode d’élection des sénateurs, même si l’on n’envisage pas de faire de cette assemblée une chambre donneuse d’avis, et donc aux missions plus conformes aux vrais principes républicains, devrait être modifié : remettre en cause les conditions d’élection des présidents et des conseillers régionaux, des présidents des conseils généraux et des conseillers généraux sans toucher à l’élection des conseils de communautés ou à la carte des communes, et ne rien modifier pour le choix de ceux qui sont leurs représentants ne pourrait être analysé que comme une manoeuvre sans intérêt pour le bien public.
Il ne faut donc pas oublier le référendum de 1969, non pour craindre un échec, mais pour se remémorer les raisons qui avaient conduit le fondateur de la Vème République à l’envisager.
Depuis cette époque, les communautés de communes ou d’agglomérations ont ajouté une strate supplémentaire à l’édifice institutionnel des collectivités territoriales et chose plus grave, alors qu’elles détiennent de réels pouvoirs, elles ne sont pas élues.
Un rapide survol de la carte de France montre que la majorité de la population, très largement urbaine en outre, réside dans des communes faisant partie des telles communautés ; la question n’est donc pas neutre si l’on reste attaché à la fiction nécessaire de la souveraineté populaire…
Le système PLM pourrait de manière plus pertinente que pour le diptyque Région/ Département être utilisé dans l’élection des personnes appelées à voter impôts et taxes dans les communautés d’agglomérations; tout impôt non voté par une assemblée démocratiquement élue est une exaction, on en tire la conclusion que pour être légitime un impôt doit être voté par une assemblée démocratiquement élue.
La question de l’élection pour les Régions et les départements ne pourrait être résolue de la même manière que si les responsabilités dévolues à ces deux types de collectivités étaient les mêmes ou de même nature ; dans ce cas la pérennisation et l’extension des communautés de communes ou d’agglomérations à tout le territoire, réduiraient le département à une fonction nécessairement secondaire par rapport à la région, comme la commune s’y trouve par rapport à la communauté.
Cela constituerait un bouleversement considérable par rapport aussi bien aux représentations politiques des Français que par rapport aux habitudes, responsabilités ou revendications des élus. La revendication des élus est un surcroît de décentralisation, la logique des réformes en cours, comme de la RGPP est celle d’une déconcentration cohérente.
Dans un cas, les collectivités sont des républiques locales, la complication de leurs compétences rendant la chose anormale voire carrément anomale, dans l’autre les collectivités, chacune avec ses responsabilités déléguées par la loi, constituent des rouages de l’appareil d’Etat (3).
La question pendante est assurément celle de la clause de compétence générale des collectivités territoriales, génératrice d’inégalités supplémentaires, même si l'on peut comprendre avec la latitude qu'elle leur accorde, l'attachement des élus à son maintien.
Or l’essentiel est que les citoyens, comme les sondages les plus récents montrent que c’est leur vœu prioritaire quant au triptyque républicain, aient la certitude que le principe d’égalité est respecté.
Conclusion : Qui croit que la Constitution est la loi fondamentale pour les Français?
Le vrai courage serait sans doute de proposer à nouveau aux Français, une modification constitutionnelle reprenant l’idée clef du général De Gaulle quant au rôle et au statut du Sénat, et en tout cas de même ampleur.
Cela ferait, certes, une modification de plus de notre loi fondamentale, mais il y en eut deux, en 2008 ; on pourrait dire aussi que cela ne renforcera pas davantage le pouvoir législatif, mais nous savons que la solution pour une indépendance, au moins théoriquement et effectivement possible et fondée, du législatif par rapport à l’exécutif et pour une vraie séparation des pouvoirs, telle du moins que la souhaitait Montesquieu, c’est la suppression d’une part de la possibilité de dissoudre l’Assemblée, d’autre part la suppression réelle du cumul des mandats.
Rien n’interdit de lier les deux réformes.
On peut néanmoins penser que cela est actuellement loin des préoccupations des Français.
Ni plus ni moins cependant que les travaux de la commission précitée dont les conclusions, sans parler des annonces de Frédéric Lefebvre, précisément à cause de la réalité des préoccupations des citoyens de ce pays, courent le risque d’apparaître, nonobstant les délicatesses de plume, comme hors jeu ou manipulatrices et offriront dans ce cas à l’opposition un terrain d’affrontement rêvé dans un climat social délétère.
Sans parler de l'annonce abrupte de "l'achèvement" de la taxe professionnelle, à l'assiette déjà lourdement amputée, qui repose la question des transferts financiers et des moyens de fonctionnement des collectivités territoriales, alors que leurs missions et donc leurs responsabilités sont alourdies par un délestage continue de celles du gouvernement.
Etat stratège avait-on dit, il y a certes plusieurs années; mais pour jouer au stratège, il faut des troupes en état de marche, il y va de l'intérêt général!
Quel nom, enfin, donner à un système politique qui pourrait ainsi vouloir bouleverser son cadre institutionnel sans consulter les citoyens ?
Quand le peuple souffre, les jeux de princes l’agacent.
Notes
1.L’ordre protocolaire n’est pas qu’une façon de satisfaire des vanités ; l’Ancien Régime avait imposé la prééminence absolue du Chancelier, Garde des Sceaux, symbole de l’Etat ; nos républiques ne respectèrent pas ce principe, régime des partis oblige et compliquèrent encore les choses en inventant des vice-présidents du gouvernement ou des ministres d’Etat, pourvus ou non d’un portefeuille. La multiplication des postes ministériels ou les variations dans la hiérarchie des fonctions ne sont pas des signes probants de bonne santé démocratique.ou de respect de la continuité de l’Etat.
(2)
Si l’on cherche une comparaison, le Sénat, mutatis mutandis, aurait ressemblé à l’actuelle Chambre des Lords britannique, hors d’état, depuis 1911, d ‘empêcher les Communes de voter les lois et pour laquelle la suppression de l’hérédité de la pairie, comme d’ailleurs sous Louis-Philippe, a achevé d’en faire une maison de retraite pour serviteurs méritants ou la récompense peu coûteuse pour les deniers de l’Etat d’une réussite personnelle
(3)
C’est dans cette hypothèse qu’une modification des contours des collectivités territoriales devient raisonnablement légitimable.
A l’échelle européenne, les régions françaises sont pour beaucoup, trop petites ou trop pauvres ; le gouvernement fédéral allemand a eu lui-même, à divers moments, la tentation de proposer des rapprochements entre tel ou tel Land, exercice plus difficile dans un état fédéral…
Pour la France, il est certain que des rapprochements-fusions entre Haute et Basse-Normandie, entre Bourgogne et Franche-Comté, entre Champagne et Lorraine, entre Limousin et Poitou (plus réaliste, compte tenu des flux et échanges, qu’un rapprochement Limousin-Auvergne), ne seraient pas dépourvus de pertinence historique, géographique et économique.
On peut même alors envisager une fusion Picardie-Ile de France.qui donnerait à un conseil régional ainsi recalibré une compétence réelle face à un Grand Paris au statut particulier.
Une remise en cause de la distribution actuelle des départements dans chaque région pourrait aboutir également à d’autres cartographies : cas de la Loire–Atlantique… et, dans l’hypothèse du rattachement de ce département à la Bretagne, dont il est historiquement une partie, redécoupage à prévoir des Pays de Loire…
Il n’est pas tout à fait déraisonnable, d’un point de vue théorique, d’envisager une grande Aquitaine, associant la région actuelle, Poitou-Charentes et Limousin !Voire une partition du Languedoc-Roussillon entre Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur… Il va de soi que ces trois dernières transformations du paysage des collectivités territoriales régionales, poseraient d’assez lourdes questions dans un débat public. !
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