L’Histoire ? Ou pas ? D’après Sylvie Pierre-Brossolette, journaliste au Point, « T’as le bonjour d’Alfred », formule d’un autre temps, oh combien populaire voire populacière, est fréquemment utilisée par l’hôte incongru de l’Elysée, pour montrer qu’il a bien « eu » tout le monde…
Mais notre omniprésident ou egoprésident a aujourd’hui un gros problème; après la campagne assez déshonorante pour ses auteurs, tendant à le comparer à Bonaparte, voilà que se pose pour les mêmes manipulateurs de symboles, la question de savoir si Obama va faire disparaître Sarkozy, non pas au sens propre, mais de la une des media et pour combien de temps ! Comme l’écrit Le Figaro, et c’est la meilleure réponse à la comparaison farfelue évoquée ci-dessus, « l’activisme de l’un va devoir s’accommoder du leadership de l’autre »
Il est vrai, d’après Le Monde du 21 janvier, que Mme Royal aurait développé l’idée que le nouveau président des Etats-Unis lui a piqué ses idées de campagne : « J’ai inspiré Obama et ses équipes nous ont copiés ». Elle a démenti depuis en disant que c'était de l'humour... Voire, mais passons : le ridicule ne peut plus tuer personne chez nos politiciens, il manque à beaucoup un ingrédient indispensable, le sens de l’honneur, l'humilité, la vertu…ou le sens de l'humour précisément!
Une question est posée dans le cadre d’Expression publique : Obama est-il déjà entré dans l’histoire ? ou bien doit-il d’abord faire ses preuves ?
Il va de soi que la question est totalement absurde, le principe de classification en histoire ayant des critères permettant de répondre sans hésitation oui au premier terme de l’alternative ; on peut en revanche s’inquiéter pour la lucidité de ceux qui attendent des preuves… sans avoir besoin pour autant, d’écrire comme un fan du nouvel élu, le chercheur François Durpaire, très présent ces derniers mois sur nos écrans, « Etats-Unis : le dernier président noir… » ; le-dit chercheur a voulu ainsi affirmer que la démarche de celui qui prêta hier serment sur la Bible de Lincoln était bien de substituer la question sociale à la question raciale et d’ouvrir la voie à la banalisation de la couleur de la peau.
Ce qui est certain, c’est que la complexité de la société américaine a donné au candidat démocrate l’occasion de montrer sa maîtrise, entre le post- identitaire et le pluri-identitaire, non seulement de l’art oratoire mais de la réalité des problèmes à résoudre. Autrement dit de produire un discours sur le fond et pas seulement en fonction des apparences…
L’histoire nous apprend qu’il peut y avoir un avant et un après tel ou tel médiocre personnage, servi par la vacuité ou le trop grand zèle du personnel politique de son temps et représentatif d‘une époque ou le vide ou carrément la bêtise sont également partagés par la droite et la gauche, pour reprendre des catégories comprises par tout citoyen, n’en déplaise à nos habituels idéologues du relativisme. Hélas, aux Etats-Unis et dans le monde, Bush a marqué l’histoire !
Nos lecteurs connaissent notre opinion sur l’élection présidentielle de 2007 en France: M. Sarkozy n’aurait jamais gagné si le PS avait su désigner un candidat convenable, appuyé sur les votes populaires précédents, porteurs d’un discours de gauche dans lequel les électeurs de gauche précisément, sociologiquement ou sentimentalement, pouvaient se reconnaître. Ce ne fut pas le cas, puisqu’une mauvaise interprétation du poids de l’opinion publique déformée par le prisme sondagier, fit croire qu’une popularité, fabriquée, interprétée, diluée dans le flou pouvait permettre de remporter une élection dans laquelle, par ailleurs, et en raison du caractère monarchique qu’elle donne à l’élu, l’électeur attend aussi comme une transcendance, une sublimation ou un refuge.
On ne peut pas à la fois, dans les media, dans les pratiques quotidiennes de l’exercice du pouvoir faire du président un individu hors du commun et au-dessus des lois, et penser que sans un programme sérieux, sans un charisme patent ou sans un charlatanisme supérieur n’importe quel candidat peut tenir le rôle, du moins quand il s’agit vraiment d’être élu !
Bien sûr, il y eut Chirac…mais il fut servi aussi bien par la conjoncture, le désir de changement d’orientation en 1995, que par la qualité de ses concurrents en 2002.
Lorsqu’un homme comme Vincent Peillon, à la formation intellectuelle solide, expliquait son soutien à la candidature Royal, par la possibilité de gagner l’élection du seul fait de sondages favorables, il oblitérait la qualité de la personne, qui ne saurait être la cause de sa faveur dans l’opinion, l’impact d’une campagne, le contenu d’un message politique. On ne pouvait conclure de ce positionnement que deux choses ; soit que la bataille portait sur l’image, l’ego et l’air du temps, autrement dit que l’offre politique originale n’existait pas ou ne devait pas exister, soit que d’autres candidats eussent perturbé des stratégies de court terme pour des ambitieux pressés.
Si l’opinion publique fut trompée, elle ne s’y est pas trompée : Sarkozy fut élu en trichant sur la nature de son programme, mais Royal a perdu parce qu’elle n’en avait pas.
Les discours du candidat, comme la plupart de ceux du président portaient, certes, des références appuyées à l’histoire, aux grands hommes, aux grands principes qui structurent une société ; aucun de ces exemples ne fut cité pour inspirer une politique à mettre en œuvre, mais tous répondaient à l’image d’une France qui pouvait exalter et donner foi en l’avenir.
L’orateur qui prononça ces périodes enflammées, provocantes, désolantes ou consolantes, tout dépend du public, n’y crut sans doute que dans l’élan du jeu d’acteur nécessaire à la transmission du message ; la sincérité n’est plus, pas plus que la vertu, utile en politique dans un monde saturé d’images qui défilent sans interruption. « Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien puissent servir impunément la patrie ».
Mais on ne peut que se réjouir que la plus grande puissance du monde ait porté à sa tête un homme qui a, à la fois, du talent, des convictions et un programme qui n’apparaît pas comme au service d’une minorité.
Ressouder un peuple au lieu de le diviser, « les choses étant ce qu’elles sont », n’est-ce pas déjà un bon début ?
Serait-ce alors la seule question qui vaille à un moment où nous constatons en France la démolition programmée de tous les freins à l’exercice solitaire du pouvoir ? Il ne s’agit pas ici de remettre ne cause la légitimité élective issue d’un suffrage qui ne fut pas sciemment biaisé par le vainqueur ; contrairement à Bush 2000, Sarko, tant pis pour nous, n’a pas volé son élection !
Mais c’est sur l’inutilité de rappeler cette évidence et, au contraire sur la nécessité d’interroger un peu plus le concept de légitimité qu’il s’agit d’approfondir la réflexion.
La légitimité de l’élu n’est pas la légitimité de son programme annoncé, encore moins de la politique qu’en définitive, il applique effectivement.
L’ancien régime avait vu surgir au fil des temps, la théorie des lois fondamentales du Royaume, qui interdisait au monarque de modifier les règles de succession, de changer la religion dominante, d’aliéner les domaines de la Couronne etc… La Révolution passa à la formalisation des règles du vivre ensemble français par la rédaction d’une Constitution, puis d’autres, en fonction des évolutions du rapport de force entre les composantes sociales du pays, appelons les pour simplifier, les classes sociales ; passer d’un système à un autre prit presque un siècle, et il se trouva encore en 1940 des Français pour se réjouir d’une défaite qui permettait au moins, disaient-ils, de tordre le cou à la Gueuse, entendez la République !
L’expérience ratée de Vichy, dans la défaite d’un totalitarisme monstrueux, et l’exigence de démocratie eurent une double conséquence : la Constitution fut sanctifiée par le vote référendaire (le plébiscite qui suivit le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, sans oublier les conditions pratiques de son déroulement, validait le choix d’un homme, plus que celui d’un régime), les remises en cause de ce pacte fondamental se firent désormais de façon tordue ou carrément hypocrite, quand il s’agit par, exemple, de la construction européenne, processus qui s’est toujours refusé à donner un nom à la forme et au statut de l’ensemble politique ainsi créé.
L’élection de Nicolas Sarkozy semble avoir balayé cette sagesse séculaire de la nation et de ceux qui entendaient parler en son nom.
On nous accusera de ne pas être politiquement correct si nous disons que l’histoire personnelle du personnage explique en partie cela ; pour répondre à l’exigence de ceux dont il porte les intérêts, il a dû utiliser les mots de rupture et de réforme, certes en les habillant de connotations acceptables par l’opinion, mais justes quant au fond, vraie rupture et vraie réforme, par rapport à l’histoire de nos institutions, aux principes qui les régissent et à la simple honnêteté intellectuelle et morale.
La légitimité de la politique de M. Sarkozy est a priori nulle, elle est simplement un fait légal au moment où l’état de droit est en train de supplanter la démocratie véritable dans la lecture et la pratique des institutions.
La volonté forcenée de faire du Parlement une simple chambre d'enregistement des desiderata de l'exécutif, comme le montre d'actuel débat sur la loi organique quant aux droits de l'opposition, accentue cette évidente régression. Pas de séparation des pouvoirs, pas de contre-pouvoir... où va-t-on?
Lorsque M. Hortefeux se déclare « fier de faire appliquer la loi … », il ne se pose pas la question de la légitimité de la loi, il constate que les formes de sa production ont été respectées dans un état de droit.
C’est exactement ce que firent les fonctionnaires d’autorité et les autres, ceux du moins qui se posèrent la question, entre le 10 juillet 1940 et le 25 août 1944, même si la validité juridique du transfert des pleins pouvoirs à Philippe Pétain par un Parlement suant de trouille ou de corruption, au regard de la Constitution alors en vigueur, demeure indéfendable. La nécessité d’avoir, quelles que soient les circonstances, des rouages qui permissent à la machine étatique de fonctionner ne vaut pas absolution et ne dispense pas de l’héroïsme, même si on ne peut l’exiger de tous.
On doit à Jacques Chirac d’avoir su faire litière d’une conception trop étriquée de la « légitimité » quand il prit acte de la responsabilité de l’Etat pendant la période de l’occupation..
On continuera cependant de lui reprocher d’avoir, comme son prédécesseur et comme son successeur, par des modifications qui eussent pu être jugées inutiles, contribué à faire de la Constitution un hochet à l’usage de politiciens peu soucieux de s’inscrire dans la continuité historique de leur patrie et complices de sa dilution dans un ensemble indéfini.
D’Obama, nous Français, nous n’avons rien à attendre, même si la politique américaine pèse sur celle de ses alliés, de ses voisins, de ses clients, de ses fournisseurs, de ses ennemis… Leadership dit bien Le Figaro et pour tout leader, il existe un ordre des urgences et aux Etats-Unis, le pouvoir législatif existe encore !
Ce qui importe c’est que les dirigeants politiques français pensent en français pour les Français. L’Europe doit changer ?
C’est possible si la France d’abord le souhaite et cela devrait signifier, si le peuple français le souhaite. L’opinion européenne a plus facilement admis le vote du référendum de 2005 que nos propres hommes politiques !
La crise économique mondiale doit amener les Etats à contrôler les agissements d’acteurs financiers laissés trop libres ? Ce ne sont pas des discours qui peuvent transformer la logique d’un système, ce sont des décisions, des actes, des sanctions et les outils, y compris juridiques, existent ; les cours de justice ont assez souvent fait évoluer leur jurisprudence, pesé par la jurisprudence pour qu’il ne soit pas possible d’en douter. Mais c’est au corps social tout entier de l’exiger et d’agir pour y parvenir.
La France souffre, comme d’autres, et comme d‘autres elle a besoin de perspectives de changement et d’alternatives portées avec force.
Le mouvement social peut beaucoup mais sans relais politique assumant les transformations nécessaires, le gouvernement de M. Sarkozy, comme ceux des 26 autres états de l’union européenne continueront de faire comme si les Etats-Unis, seuls, dirigeaient le monde, alors même qu’Obama, lui, sait que ce n’est plus le cas.
Et c’est bien en tenant compte de cette réalité, qu’il faut repenser les politiques d’alliance, de défense, de développement économique, social et humain et d’abord en Europe pour ce qui nous concerne immédiatement.
La mondialisation du capitalisme n’a pas construit un monde unifié, elle n’impose pas un monde sans espoir. Les peuples ont la parole.
Ne laissons pas à Sarkozy la faculté abusive de répéter trop longtemps encore « T’as le bonjour d’Alfred !» et passons aux choses sérieuses.
JPB
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