Son usage médiatique
Les prises de position et analyses des experts et des dirigeants politiques ou opposants de tous bords se suivent tous les jours ; l’idée forte qui domine, est évidemment l’imputation de la catastrophe à des errements qu’une régulation véritable aurait pu éviter, et non pas le résultat inéluctable de la recherche à tout prix du profit maximum qui anime le capitalisme, « financier », si l’on veut, depuis que la mondialisation et internet ont largement favorisé ce penchant inhérent au système.
Une autre idée a été complaisamment relayée, c’est celle du rôle renforcé des politiques publiques et donc du politique. Sans vergogne aucune, un Seillière, comme patron des patrons européens, déclare que la nécessité de règles mises en place par les Etats n’a jamais été niée par les « entrepreneurs », sauf pour les bonus, parachutes et volume des stock options tout de même (A peine les Pays-bas annoncent-ils qu’ils veulent légiférer sur ce dernier point, que le chantage à la délocalisation est déjà explicite!).
Peut-on admettre que les élus (du moins dans nos démocraties) ont eu à cœur jusqu’à présent la défense de l’intérêt général sans se préoccuper des conséquences publiques de stratégies privées ? Ou doit-on au contraire penser qu’un certain nombre d’entre eux étaient conscients des risques pris par une dérégulation prétendument capable de faciliter l’investissement, la création d’emplois, l’enrichissement collectif ?
Car c’est bien ainsi qu’ont été vendues aux électeurs les politiques reagano-thatchériennes passées et leurs modulations contemporaines : personne n’a osé dire que la seule raison de ces politiques était de faciliter l’enrichissement personnel des détenteurs d’actions ou des membres de la technocratie managériale.
Les discours officiels préféraient et préfèrent encore évoquer l’obésité de l’Etat (en France, le mammouth!), la réduction des dépenses publiques, la liberté redonnée à tous ceux, braves pionniers, qui voulaient prendre des risques sans être contraints par des formalités administratives pesantes, ou travailler plus pour gagner plus … moyennant quoi, la dérégulation, au nom de la concurrence et du marché présentés comme les seuls moteurs d’une prospérité générale, fut et demeure le catéchisme de la construction européenne, de son élargissement et de son approfondissement, le dogme de l’OMC, du FMI, de la Banque Mondiale etc, etc avec la bénédiction des dirigeants de la droite assumée, au nom de ses principes, et d’une pseudo-gauche, au nom du « réalisme »…
Une crise de cette nature, ce peut être l’expression du mûrissement de contradictions, résolues par un changement qualitatif dans les rapports sociaux qui l’ont provoquée : d’où la ritournelle assurant que rien ne serait plus comme avant, que les golden boys avaient vécu et que le capitalisme allait sortir transformé. Voire ! Les premières prises de parole des représentants de la majorité parlementaire, du gouvernement et du président ont fait état de la nécessité de poursuivre les réformes, or aucune desdites réformes ne va dans le sens d’une régulation du capitalisme, toutes, au contraire, facilitent la prise de décision des opérateurs ou des entrepreneurs, libérés de réglementation contraignante quant à l’impact social ou économique de leurs choix . Nul n’a annoncé la fin de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes et le plan Paulson en est une nouvelle, et combien éclatante, illustration. Nul n’a sérieusement songé à faire rendre gorge aux avides pillards dont les agissements ont abouti à des pertes pharamineuses dans le temps où ils se répartissaient pour leur usage personnel $ 95 milliards ! Sans parler de l’indemnité de licenciement pharaonique d’un patron resté en place 18 jours !
Mutatis mutandis, les privilégiés de 1789 l’étaient infiniment moins que ces prédateurs là !
Et en France, c’est bien par un effet de manches et dans le cadre d’une communication politique consciente de l’aigreur du public, qu’on a demandé instamment à quelques dirigeants de renoncer à un parachute doré, sans que les intéressés soient prêts à admettre le bien-fondé de leur sacrifice! Comme disait l’un, « je n’ai pas le sentiment d’avoir démérité ! ». Le problème du mérite, c’est qu’il renvoie toujours à la qualité propre de celui qui l’évalue.
L’entêtement ?
La RGPP continue de plus belle et chacun a relevé l’incongruité d’une démarche qui consiste à offrir la garantie de l’Etat quand on s’apprête à privatiser un service public de plus, comme la Poste. Il ne manque pas de ces pseudo-experts, en fait simples idéologues, pour prétendre démonter que certains pays ont résolu les problèmes de leur crise structurelle en réduisant la dépense publique donc le champ d’intervention de l’Etat : et en route pour l’exemplarité suédoise, depuis qu’elle est sortie de sa longue nuit social-démocrate et où la poste effectivement a un chiffre d’affaire dans lequel la part du courrier diminue! Mais à quoi sert la Poste ? L’oubli, dans ces cas- là, c’est toujours celui de l’histoire, à double titre : la Suède, c’est la Suède, et la rupture dans les règles de gouvernance est datée et a eu lieu dans un contexte international où tous les aboyeurs aboyaient pour le néolibéralisme partout !
Quant à la réduction de la dépense publique, on ne peut la considérer comme un frein à la prospérité générale qu’en niant qu’elle soit elle-même créatrice de valeur : la France attire des investisseurs étrangers, parce que ses réseaux publics, en tout cas financés par le public dès l’origine et pour l’essentiel, son environnement culturel, son niveau de protection sociale, la qualité de vie de ses territoires justifient encore le proverbe « Heureux comme Dieu en France » ; cette accumulation de richesse réelle n’est pas de nature différente que celle que procure l’activité économique en général et il serait inopportun de distraire du PIB l’apport des services publics à sa constitution ; inopportun et faux, trompeur et manipulateur.
Quand un service public dégage des bénéfices, il peut certes en redistribuer sous forme salariale, mais il peut aussi en réinvestir dans l’amélioration du service rendu aux usagers ; quand une entreprise privée dégage du bénéfice, cela intervenant en bout d’opérations comptables, c’est pour le distribuer à ses actionnaires, nominalement co-propriétaires, mais aussi à sa direction, quand bien même aucune originalité stratégique dans les choix d’icelle ne serait en mesure d’expliquer lesdits bénéfices ! Où est le gaspillage ?
La démonstration de la plus grande efficacité d’un service privé par rapport à un service public, ne peut être faite qu’en omettant la satisfaction des missions de service public : les cahiers des charges dont le suivi rigoureux n’existe qu’à l’état d’exception, les délégations de service public, qui doivent être rentables pour la société délégataire, mettent en évidence que toutes choses égales par ailleurs, la différence fondamentale est dans la redistribution de plus-value et non pas dans la simplification de la gestion ou la qualité du service.
A l’échelle macro économique, pour la France par exemple, les masses financières en jeu, privées ou publiques, sont équivalentes mais elles ne sont pas orientées de la même façon.
En persistant dans la voie des réformes néolibérales et dans la restriction du périmètre d’action de l’Etat dont les services publics sont un outil, la majorité démontre qu’elle n’a aucune proposition de long terme pour éviter le retour de crises comparables à celle que nous connaissons. L’invocation de l’obligation de céder à des injonctions « européennes » ne tient pas davantage, la notion de propriété n’étant pas dans les traités, et les dérives biaisées dans l’interprétation qu’en a faite la juridiction de Luxembourg, ont, toutes, été approuvées par nos ministres.
C’est aussi par un pur abus que la comptabilité publique prétend évaluer la valeur foncière et immobilière des installations occupées par des services de l’Etat, pour par exemple obliger tel ou tel ministère à faire figurer dans son budget le loyer, fictif ou pas, des bâtiments qu’il occupe!
L’évaluation du patrimoine de l’Etat ne vise qu’à banaliser son statut alors même qu’on se refuse à mettre en évidence la création de valeur que procurent les services publics : peur sans doute de la concurrence « non faussée » ! Les biens de l’Etat sont des alleux et l’Etat ne se doit rien.
Autre chose est l’appréciation de la valeur marchande de biens désaffectés et remis sur le marché. On n’a, à ce propos, que rarement entendu un acheteur se plaindre du prix ; la presse annonce régulièrement la mise en vente de biens patrimoniaux de l’Etat (hôtels de ministères ou immeubles de bureaux), ils trouvent tous « facilement » preneurs.
L’analyse comme solution ?
De quoi parle-t-on dans la crise ? Objectivement, de la même chose, c’est-à-dire de la valeur, valeur différemment évaluée selon l’usage qu’on en fait, de la place qu’on lui assigne dans le procès de production, travail compris. Le capitalisme régulé, régulier, et le rôle du politique ?
La crise des subprimes est connue depuis le début de l’année 2007. Le rachat d’une banque US par une autre est intervenu très tôt dans le déroulement des événements ; en a-t-on parlé dans la campagne des élections présidentielles en France. Non. Mme Lagarde, associée dans un cabinet d’avocats d’affaires prestigieux à New-York a bien été nommée ministre des finances ? Les signes patents de la crise liée aux subprimes étaient-ils connus à l ‘été 2007 ? Oui. En a-t-on tiré, en France, en Europe et ailleurs des conséquences pratiques sur les orientations politiques, sur la réglementation, sur la judiciarisation de comportements si manifestement préjudiciables à l’intérêt général ? Non. Ou peut être dans telle ou telle société financière quand un trader « incontrôlé » fait apparaître un trou de 4,82 milliards d’euros, quand on comprend que le « débouclage « des positions qu’il avait prises portait sur 10 fois plus ! Début 2008 donc ! Changement de politique économique et financière alors que la France s’apprête à assurer la présidence tournante de l’UE et que des élections municipales se préparent ? Non.
On peut se dire que nos élus prêteront toujours plus d’attention à des élections qu’à l’avenir de la planète, ou à l’irrigation des circuits économiques et financiers ; qu’ils n’apprennent jamais rien des crises ou qu’ils sont mal informés. C’est évidemment vrai pour un certain nombre d’entre eux, ce qui d’ailleurs n’empêche ni leur élection, ni leur réélection ; mais au sommet de l’Etat, c’est plus difficile à croire, non pas parce que le chef de l’exécutif serait omniscient, mais parce que la haute administration française, celle dont les membres sont nommés en conseil des ministres, est non seulement compétente mais aussi parce que ses liens avec les entreprises privées et les banques sont réels, pantouflage et intérêts bien compris obligent.
La description que fait Laurent Fabius (Le Monde-3 octobre) est saisissante : « Il était fou de transformer, bonus astronomiques à la clé, des déchets toxiques financiers en créances titrisées, permettant de spéculer dans l’opacité. Il était fou d’évaluer les actifs des entreprises à leur cours instantané (…) Il était fou de laisser les agences de notation sans visibilité ni contrôle suffisants, les fonds spéculatifs broyer leurs proies et les paradis fiscaux abriter toute cette folie d’enfer… » ; certes…
Revenons au point de départ : la justification de l’entreprise privée, celle du moins qui est généralement avancée par les libéraux plus ou moins orthodoxes, c’est la prise de risque.
Or les compagnies d’assurance font de l’argent, pour leurs actionnaires et leurs dirigeants, avec de l’argent qui ne leur appartient pas ; les banques n’ont pas plus de fonds propres à mettre en balance avec les dépôts de leurs clients ; quant aux traders, chacun sait que ce n’est assurément pas avec leurs capitaux particuliers qu’ils jouent des jeux si dangereux. La rémunération de ces agents économiques est donc la rémunération, exagérée ou pas, d’une activité sans risque pour eux, d’un travail lui-même virtuel. Certes JPMorganChase vient de virer le staff de Washington Mutual racheté la semaine dernière, mais cela n'en fera pas des SDF! Et la Wells Fargo s'est offert Wachovia, preuve que pendant la crise le commerce continue et que les requins blessés sont achevés par leurs congénères plus solides...
Mais le crédit ? Ces mécanismes, nous dit-on en effet, sont nécessaires pour assurer la fluidité de la circulation monétaire, le crédit aux entreprises qui produisent et qui investissent, la rémunération et la garantie des dépôts. La question subsidiaire pourrait être : vu par certains le capitalisme est-il un jeu à somme nulle ? La valeur est-elle créée par la « production » d’un bien matériel, ou l’immatériel et le virtuel doivent-ils aussi être pris en compte de la même façon et selon les mêmes règles ?
La régulation par le marché n’a jamais été qu’une invention idéologique mais pour réduire « la distorsion gigantesque entre la sphère de la finance et celle de la production » (L.F., cit.), réalité déjà évoquée une fois par DSK, alors ministre des finances de Lionel Jospin, devant une Assemblée aussi ahurie qu’inquiète, il faudra se décider à imposer des règles applicables par tous et qui n’imposent pas au nom de la liberté des échanges d’objets non identifiés, que deux mondes dissemblables, le réel et le virtuel, fonctionnassent selon les mêmes lois.
Ce qui doit changer, c’est précisément la facilité avec laquelle sont exonérés de tout faute ceux qui, par appétit du lucre, spéculent sur n’importe quoi, considèrent que l’étalon de l’humanité est sa valeur comptable et, dans ces conditions, sont prêts à blanchir l’argent de tous les trafics qui sont eux-mêmes des négations de l’humanité.
Quel est le système bancaire au monde qui n’a pas d’argent sale dans ses comptes, pour des milliards de dollars ou d’euros ? Qui peut croire qu’une régulation est une réponse suffisante ? Rien ne sert mieux le blanchiment de l’argent sale que la sophistication des outils financiers et le caractère prévisionnel et aléatoire de leur usage.
On devrait se souvenir d‘American Psycho, roman de Brett Easton Ellis, publié au début des années 90 ; métaphore flamboyante de l’Amérique et caricature acide des yuppies, on y trouve la vraie morale du capitalisme contemporain. Sans un effort vertueux du politique et la résurrection des citoyens, il y a peu de chances qu’on sorte rapidement de l’horreur barbare qu’il projette.
JPB
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