Les universités d’été d’un certain nombre de partis, de syndicats ou d’associations se tiennent en ce moment ; l’intérêt que leur porte la presse et le nombre de lignes qu’elle leur consacre sont en général inversement proportionnels aux chances de voir ces universités produire un discours porteur d’un véritable projet de transformation sociale, favorable au moins au plus grand nombre, c’est-à-dire fondé sur une base théorique solide, porté par une structure politique cohérente, appuyé par une force sociale convaincue. En revanche tout ce qui, de près ou de loin, pourra renvoyer au storytelling ou à un enchantement médiatique, y compris par un ressassement matraqueur, sera assuré d’une large publicité et de maint commentaire.
Recentrons notre propos sur quelques évidences, au moment où un organe de référence croit pouvoir peser sur le congrès à venir du PS en publiant quelques extraits des productions de clubs de réflexion ou de hiérarques pensants…
L’intérêt de classe, la nation, l’Etat?
Au fait, le patronat français a-t-il radicalement changé depuis 1940 ?
La réponse est non ; son seul propos est d’assurer la rente la plus élevée possible aux possesseurs de patrimoines importants, et des miettes en quantité suffisante pour « fidéliser » les petits actionnaires. L’aveu de Denis Kessler sur la nécessaire liquidation de l’héritage institutionnel et social du programme du Conseil national de la Résistance vaut pour une classe sociale tout entière. L’enthousiasme devant les réformes de Sarkozy en est une preuve de plus, de même que les exagérations auxquelles peuvent se livrer, au Parlement, des politiciens assez domestiqués pour faire de la surenchère!
La collaboration des dirigeants du monde économique et financier avec l’occupant nazi a-t-elle permis de maintenir une activité et un niveau d’emploi convenables ?
La réponse est encore non. Outre que cette activité a souffert du manque de matières premières, de l’usure des machines, des prélèvements de l’Allemagne, du STO, des bombardements, elle a accentué le décalage entre les revenus patrimoniaux et les salaires, et la reconstruction du pays à partir de 1945 doit beaucoup à l’effort consenti par les « classes laborieuses » (comme il n’est pas encore interdit d’écrire), au compromis aujourd’hui voué aux gémonies et aux crédits du plan Marshall. Certainement pas à un outil économique préservé !
Est-ce que le patronat des grandes entreprises a profité de la situation ?
La réponse cette fois est oui, au point que certaines nationalisations de 1945 paraissaient aller de soi ; quant à l’aide ainsi apportée à la machine de guerre allemande, financée par les prélèvements des indemnités quotidiennes d’occupation, prévus par l’armistice et donc prélevés sur la richesse nationale, elle a contribué encore à creuser les écarts, le système fiscal jouant. La guerre a eu normalement pour conséquence une certaine décapitalisation et, en même temps, une « meilleure » concentration, une espèce de rationalisation au profit des plus forts …
Est-ce que la collaboration patronale a été jugée à la Libération ?
La réponse est toujours non, même si quelques figures ont été projetées au premier plan de l’actualité à ce moment- là.
Le patronat a-t-il, à un moment quelconque depuis cette époque, manifesté la moindre velléité de regret, de remords, de repentir?
La réponse est évidemment encore et toujours non. Curieusement, alors qu’on parle désormais de repentance à propos d’autres moments de notre histoire, personne n’a encore songé à exiger du patronat un tel retour sur soi : ni à droite, ce qui se comprend, ni à gauche, pas même chez les républicains ou les tenants de la gauche anticapitaliste!
De Gaulle a-t-il, à la Libération, sauvé la mise à une classe dirigeante, possédante, sûre d’elle et de son bon droit mais qui avait globalement trahi?
Assurément oui. D’ailleurs dès qu’elle n’eut plus besoin du grand homme et par deux fois, dès 1946 et en 1969, elle sut s’en débarrasser ; y compris avec la complicité d’une gauche depuis assez longtemps en perte de repères ou confondant parfois l’essentiel et l’accessoire!
Que faire donc d’un tel héritage ?
Peut-on construire un avenir meilleur, pour tous, sans toucher au mode de production ?
La stratégie de Lisbonne (2000) a préconisé pour l’Europe le développement de l’économie de la connaissance. C’est aussi ce que « le Monde » retient des écrits de l’économiste Philippe Aghion, membre de la commission Attali, professeur à Harvard et expert écouté des cercles socialistes (cherchez l’erreur) : « Pour réussir, nous devons lancer toutes nos forces dans l’économie de la connaissance ».
On doit aujourd’hui cependant s’interroger à propos d’un rapprochement publié à son de trompe entre la production de valeur dans le procès économique et la production de connaissances. L’omni présence de la notion de capital cognitif, même si elle n’est pas toujours définie avec une très grande rigueur, les économistes et les décideurs intéressés sont rarement des philosophes, est une réalité dans les discours et les problématiques d’experts pour justifier des orientations qui portent sur la formation, y compris initiale, sur la recherche y compris théorique, sur l’innovation, surtout brevetable. Et sur le statut des universités et la concurrence entre elles…
Dans un schéma d’analyse classique, le capital absorbe pour se valoriser le « travail vivant », donc les savoirs générés par sa pratique ; mais les théories de la valeur n’intègrent pas facilement la valorisation des connaissances, encore moins les connaissances virtualisées caractéristiques de notre temps : la mise en valeur des savoirs savants , non définitifs, en tout cas non fixes, immatériels mais reproductibles, échappe aux mécanismes habituels et multiplie les possibles, créant ainsi à la fois des espaces de liberté et des marges d’incertitude dont les détenteurs du « capital », le vrai, ne peuvent se satisfaire absolument.
On trouve des philosophes pour prêcher la résignation, l’attentisme ou la docilité, mais il en faut aussi pour théoriser le futur. Le concept de capitalisme cognitif a donc pour fonction de justifier des transformations des rapports sociaux à partir de notions et de savoirs apparemment partageables, mais qui précisément, faisant ou pouvant faire l’objet d’une valorisation ne doivent pas l’être nécessairement par tous.
La rareté fait le prix, mais en même temps le progrès des connaissances implique l’existence en nombre suffisant de créateurs potentiels et donc des systèmes de formation compétitifs. Sauf à penser comme le vieux moine du Nom de la Rose que tout est déjà créé.
Comment sortir d’une contradiction ? Sans revenir sur la distinction entre la valeur d’usage et la valeur d’échange, il faut bien admettre que le coût de production de la connaissance est aléatoire, autant que le sont les processus d’apprentissage ; son coût de reproduction en est moindre au point de tendre tendanciellement vers zéro, comme pour toute marchandise ; dans ces conditions la valeur d’échange du savoir est liée à la forme de sa diffusion : l’accès à certaines productions artistiques sur le net, et l’on peut considérer qu’une production artistique est une production de connaissance, a illustré pour le grand public pris à témoin dans des termes biaisés (la juste rémunération du créateur, indépendamment du travail incorporé dans la reproduction, la diffusion, voire les conditions de la création, la formation du créateur, l’investissement collectif que constitue un système éducatif etc) ce que pouvait être la capacité de réaction du « capital » face à la possibilité offerte de copier, reproduire, retravailler la connaissance ou dans ce cas la production d’autrui.
Pour limiter l’accès à tout savoir existant, ou virtuellement source de valeur, il faut avoir à sa disposition des moyens « légaux », ce qui suppose un Etat ou un quelconque pouvoir légitimement fondé ou reconnu pour tel, qui permette de protéger de la curiosité générale, les connaissances : c’est à cela que servent les brevets, les droits d’auteur, les licences d‘exploitation, les contrats, toutes protections qui, pour être efficaces, ont besoin, répétons le, d’un garant qui s’impose.
La gestion de l’appareil d’état intéresse donc les patrons ; la présidente du Medef ne se prive pas de le seriner et d’intervenir dans tous les débats politiques impliquant une modalité de répartition des richesses créées, et pas seulement dans ceux-là.
La responsabilité des organisations syndicales dans la défense des « intérêts matériel et moraux, individuels et collectifs » des salariés, mais aussi de ceux des usagers et des consommateurs dans une perspective de prise en charge de l’intérêt général, implique de leur part, qu’elles se saisissent de cette réalité contemporaine dans leurs modalités et leurs formes d’intervention comme dans leurs discours et leur politique de formation.
Le développement économique passe par des systèmes de formation efficaces et performants et par une recherche encouragée, mais la question posée est au profit de qui ?
Le service public d’éducation et de formation de la maternelle à l’université n’est évidemment pas à l’abri, chacun le vit quotidiennement, de politiques informées par une idéologie néo-libérale triomphante et auxquelles ne s’opposent aujourd’hui aucune alternative assumée, faute sans doute de nouvelle utopie émancipatrice . Quand on lit dans une publication de l’OCDE : «Si on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de services rendus, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles et aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement.. » , on peut en conclure au moins que l’auteur de ces phrases s’exclut de la communauté du peuple, qu’il professe à son égard une forte dose de mépris, qu’un tel discours doit être utilisé pour montrer la réalité des politiques à l’œuvre, que le partage des richesses créées est la question centrale et que la réponse est politique.
Pour l’Etat-providence :
Le néolibéralisme n’a que faire d’un Etat qui assure à chacun , du seul fait de son appartenance à la société civile, le droit de voir ses besoins minimaux, y compris sa capacité de survie par des soins appropriés, garantis par la solidarité nationale ; le principe d’égalité n’est pas fondateur du libéralisme encore moins quand on entend ce vocable dans sa dimension économique.
Ce qui aujourd’hui pose un réel problème à tous ceux qui ne conçoivent pas comme digne d’une société civilisée un Etat strictement gendarme, c’est la doxa qui fait croire à une crise insoluble de l’Etat-providence, sauf par sa remise en cause, ce que certains appellent la réforme.
Les trois composantes mises en avant de cette crise, sont connues et rabâchées : crise de solvabilité, crise d’efficacité, crise de légitimité.
En fait ces constats apparemment imparables sont contrefaits : la crise de solvabilité évacue généralement la croissance, à valeur constante de la monnaie, du PIB, la nature de la redistribution de la plus-value et donc le différentiel entre les revenus patrimoniaux et les revenus salariaux . Sachant que les bénéficiaires de revenus patrimoniaux bénéficient également, dans la plupart des cas et en tout cas dans une large majorité, des compléments « salariaux » que représentent les reversements de la protection sociale, puisqu’il n’est pas un héritier qui ne soit salarié, pas un PDG qui ne soit « couvert » par la Sécurité sociale, pas une entreprise familiale qui ne puisse accomplir ce cumul bien réel, on peut douter de la solidité de l’argument. Ce n’est que dans le cas d’une régression absolue de la richesse nationale, pas seulement évaluée par le PIB, que l’on pourrait parler de crise de solvabilité.
De même mettre en avant, pour contester l’efficacité du système, que les inégalités se creusent, malgré l’effet redistributif de la protection sociale, c’est oublier un certain nombre de données objectives. Si M.Peyrelevade est l’un des rares à contester que le partage de la plus-value désavantage les salaires et donc les ménages, il se base sur le taux de marge des entreprises non-financières : or, d’une part, les entreprises financières existent, interviennent dans l’évaluation du PIB, sont insuffisamment régulées (subprimes et autres fantaisies des traders et de leurs patrons), d’autre part les délocalisations de production cassent des emplois en France, ne sont pas suivies d’investissements dans la recherche-développement en France et ne justifient pas une politique d’allègement des charges, c’est-à-dire du coût du travail dans le salaire différé qui finance la protection sociale.
La seule raison qui pourrait fonder la continuation de cette politique d’abaissement des charges qui depuis des décennies ne s’est pas traduite par des créations massives d’emplois mais qui a contribué à accroître l’écart entre les revenus salariaux et les revenus patrimoniaux, ce serait une réforme fiscale. Ce que propose M. Piketty en prônant le rétablissement d’un « impôt unique » supprimé, rappelle-t-il, par le gouvernement de Vichy en 1942 car imposant « une tyrannie de la démocratie ». Las, le projet concomitant de fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, aboutirait, car c’est ce qui s’est passé depuis la création de la CSG, à faire supporter aux ménages une part plus grande du financement de la protection sociale.-( cf . étude Drees publiée cet été).
En clair quid de la transparence sur les revenus du capital, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom, stock-options comprises puisque leur taxation actuelle n’est pas celle d’un salaire (cf. rapport de la Cour des Comptes) ?
Possible, mais il ne manque pas de choses plus probables »
Le dernier leitmotiv de la « crise » est celui de la légitimité: les systèmes de protection collective heurteraient les états stables d’un conscience collective dominée par la montée de l’individualisme, décliné dans tous les champs de la vie sociale ! Voire …
La montée de ce que certains appellent « les valeurs » de l’individualisme, ne doit rien au hasard ni à la nature: il s’agit de l’irruption sans complexe des valeurs de la « bourgeoisie », certes au sens marxiste du terme.
Donc le résultat d’un travail idéologique, d’autant plus efficace que précisément les valeurs collectives ont été noyées avec l’épouvantail soviético-stalinien. Les motifs invoqués à l’appui de la thèse de l’affirmation de l’individu valent leur pesant de mauvaise foi : « l’impersonnalité des mécanismes de prélèvement et de prestations sociales (…) ne satisfont plus des citoyens à la recherche de relations moins anonymes et d’une solidarité davantage basée sur des relations inter-individuelles » ( texte extrait du site de la Documentation française, Vie Publique!). Comme si la logique de la privatisation du risque était la norme, comme si l’individu préexistait à la société, comme s’il n’était pas un « produit » ! Un contrat par individu ! A croire que les assureurs sont désormais les maîtres à penser des dirigeants politiques. En fait, simple mise en œuvre d’un mécanisme aussi vieux que nos sociétés politiques : diviser pour régner !
La complication objective des mécanismes de protection sociale, la lourdeur de leur fonctionnement, semblent n’avoir eu pour objectif que d’en assurer plus facilement le démantèlement.
Encore heureux que la cohésion sociale, préférable en général, même pour les prédateurs de tous ordres, à la guerre civile, soit un enjeu de gouvernement et le fondement de la légitimité politique.
L’individualisme ressassé sur les ondes comme une aspiration naturelle au bonheur et à l’indépendance est certes un leurre, mais il pèse dans les rapports sociaux.
La question des retraites en éclaire les conséquences néfastes : alors que notre pays connaît une démographie qui permet un renouvellement des générations, le vieillissement de la population continue d’être privilégié comme motif d’une réforme continuée du financement des pensions. Rien d’autre n’est mis en examen, en particulier l’origine de nouvelles ressources possibles ou les conséquences d‘un enrichissement global à partir d’activités ou de formations ou d’équipements collectifs pris en charge en amont par la société tout entière. Qu’est-ce qui peut justifier qu’un enrichissement fondé sur la mise en œuvre de mécanismes collectifs (fiscalité, politique éducative et de recherche, services publics, communications ) soient prélevé par une minorité ? Quel est l’apport à la société des expatriés fiscaux ? Faut-il en conclure qu’un Etat qui consent à tout cela n’est pas en charge de l’intérêt général ?
La gauche a donc des propositions à faire sur les retraites, mais lorsque, par exemple, M. Piketty en parle, il entre de plain-pied dans la logique de l’individualisation : minimum garanti, financé par l’impôt, cotisations individuelles variables complémentaires… « Tous les droits regroupés sur un compte individuel (…) le capital-retraite. Chaque travail est comptabilisé (…) La retraite devient ainsi le patrimoine des gens sans patrimoine ».
Outre que le temps travaillé non clandestin est actuellement compté, sauf pour les précaires, les outils permettant de compter néanmoins existant, l’essentiel dans la proposition est dans l’absence d’interrogation sur la perpétuation d’un système dans lequel certains ont un patrimoine et d’autres n’en ont pas.
Apparemment à cela, il ne convient pas de toucher ! M. Thiers aurait-il définitivement gagné ?
Comme le fait remarquer, curieusement quant on examine son but, M. Peillon, à propos des républicains qui à la suite d’historiens de la Révolution (Furet) ont donné de la République une vision caricaturale: « Ils empruntent à leurs adversaires les termes mêmes du problème auquel ils veulent apporter une solution différente. Ce faisant, ils s’inscrivent ainsi, serait-ce malgré eux, dans la stratégie victorieuse de ceux qu’ils croyaient combattre ». Etonnant, non ?
Et puisqu’il faut une conclusion :
« Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n’est point arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie ; les défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des fripons dominera ». Ce discours dont on reconnaît sans peine l’auteur est du 8 thermidor an II.
Il est certain que « la révolution française n’est pas terminée » ; on peut douter qu’elle le soit bientôt quand un tribunal arbitral octroie, avec la complicité de l’Etat, des dommages pour « préjudice moral » à un homme que Robespierre aurait identifié sans peine dans une cohorte qu’il combattait ou quand un oligarque achète une villa sur la Côte d’Azur au prix de l’équivalent de 14000 postes d’enseignants, soit davantage que ce que l’Etat a débloqué pour la tornade du Nord, ou qu’il s’apprête à injecter dans les communes où ils supprime des corps de troupe ! La seule chose sûre c’est que ce n’est pas le travail, l’épargne ou le mérite, ni dans ce cas l’héritage qui permettent des dépenses somptuaires de ce type !
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