Le contexte d’une contribution au PS ou à quoi sert un parti politique ?
Les partis concourent à l’expression du suffrage des citoyens en particulier en permettant l’élaboration de thèses sur la réalité sociale, l’approfondissement de la discussion, la formulation de propositions ou d’exigences… Les partis, comme leur nom l’indique, n’ont pas vocation à représenter chacun la totalité du corps politique ; on ne trouve dans l’histoire que des exemples déplorables de système politique à parti unique et le despotisme voire le totalitarisme, s’ils sont toujours une tentation chez certains, n’ont que d’assez lointains rapports avec la démocratie en général et nos principes républicains en particulier.
Il faut d’ailleurs se souvenir que les premiers partis politiques véritablement structurés sont des partis de « gauche », des partis « socialistes » ou « communistes », des partis contestataires, des partis qui, représentant des forces exclues du fonctionnement des institutions ou des classes et catégories sociales opprimées, avaient besoin, précisément pour porter un message combatif et faire progresser leurs idées, de disposer d’une organisation efficace. La droite classique des notables aristocrates puis bourgeois considéra longtemps cette mise en forme comme inutile en réduisant le rôle d’un parti à celui d’un club de bonne compagnie, entre soi, pour valider les candidatures aux élections, suffrage censitaire compris.
Mais de programme, point n’était besoin d’en débattre, puisqu’il allait de soi ; il est d’ailleurs singulier que les imposteurs qui aujourd’hui abusent à contresens du mot réforme, en soient revenus à ces fondements « naturels » et ataviques : le droit de propriété, l’égalité formelle des droits, l’ordre, la hiérarchie et curieusement l’individualisme qui permet de faire passer tout le reste, comme si la liberté avait un sens quand les conditions réelles de son expression et son déploiement étaient en réalité parfaitement contraintes.
La droite sans complexes ?
L’utilisation de cette formule pour désigner le cadre « mental » du système Sarkozy, nonobstant les multiples contradictions que des slogans attrape-tout ont pu véhiculer, a fait oublier le contenu d’un programme de droite assumé, au point d’inciter certains commentateurs à parler de victoire idéologique de la droite.
Or une victoire suppose un combat et, s’il est vrai que le rassemblement des droites, comme disait feu René Rémond, autour du candidat de 2007, a permis la mise en évidence et la prévalence d’un corpus idéologique dont les vrais pères spirituels s’appellent Guizot ou Thiers,voire Benjamin Constant, ce qui, mondialisation ou pas, peut difficilement passer pour moderne, rien de comparable par son ambition d’affirmation de soi, c’est-à-dire en fait d’autre chose, ne lui a été opposé de manière audible et avec un substrat construit.
La question peut se poser de savoir si la mondialisation est une circonstance aggravée, liée aux techniques nouvelles de communication en particulier, des tendances lourdes que « le laisser-faire, laisser-passer » contient dès l’origine, ou si elle est un saut qualitatif dans le fonctionnement même du capitalisme.
Autant on peut admettre que la financiarisation sans limites a partie liée avec les TICE, autant la démonstration est moins évidente pour ce qui touche aux productions matérielles. Si l’on peut imaginer que les TICE facilitent la spéculation sur le prix de l’énergie ou des matières premières alimentaires, question redevenue visiblement cruciale en 2008, la formation des prix, la nature des choix de production ne s’effectuent pas hors d’un espace-temps parfaitement normé : tous les lieux de la planète sont régis par une autorité politique, dont les pouvoirs réels, quand bien même le PIB de tel ou tel pays serait inférieur au CA de telle ou telle multinationale, sont supérieurs à ceux de toute entreprise privée. Financiarisation sans limites n’est pas synonyme de financiarisation sans contrôle.
La leçon de choses qu’offre au monde béat devant la « victoire » du libéralisme et la fin de l’histoire, le capitalisme chinois ou russe dans sa constitution même, la part active que les gouvernements brésilien et indonésien (pour n’en citer que deux) prennent à la déforestation planétairement néfaste de l’Amazonie ou de la forêt du sud-est asiatique, quand ce serait pour soutenir des entreprises privées créatrices à court terme de richesses réelles, montre que le politique n’est supplanté, voire supplantable qu’avec la complicité des politiques eux-mêmes, autrement dit qu’il n’est pas possible de s’en passer, sauf en recréant la violence absolue et le droit du plus fort comme relation au quotidien.
On pourrait peut-être tirer argument du ralliement général des systèmes politiques à la facilitation du fonctionnement du capitalisme financier et patrimonial, au sens où l’entendent les anglo-saxons, pour justifier que la mondialisation est un nouveau stade du capitalisme, mais il nous paraît abusif d’évoquer à ce propos un changement de nature. L’expansion ou le mûrissement ne préludent pas à une transmutation.
En revanche ce stade, comme tout événement historique est analysable dans un contexte, explicable dans un processus.
Le PS sans réflexes ?
Alors que la droite, pour demeurer dans l’exemple français, n’a pas peur de jouer sur l’ignorance en prétendant effacer, comme Denis Kessler, le compromis issu de 1945, comme si les conditions de ce compromis n’avaient plus de sens, mais en revenant en fait à un statu quo ante dans les relations entre classes sociales, la gauche, du moins pour la partie d’elle qui aspire à la direction politique du pays, se coupe de tout référentiel philosophique et idéologique sérieux et crédible.
La référence à Vichy dans un bref et récent essai rend assez bien compte de la volonté de transformation profonde de la bande de prédateurs malencontreusement mis en place.
Pendant ce temps, la déclaration générale adoptée par le PS dans une quasi et suspecte unanimité indique, hélas, davantage le peu d’intérêt pour le travail intellectuel qui doit informer un discours offensif contre l’idéologie dominante, que la certitude de disposer d’un outil efficace pour convaincre, en raison, du bien fondé des propositions du parti socialiste.
Nous avons malheureusement connu en 2007 et depuis lors, des dirigeants ou des aspirants dirigeants du PS, au nom peut-être d’une relève générationnelle, qui considéraient comme recevables certaines propositions de la droite et n’étaient prêts à ferrailler à fleurets mouchetés que sur la méthode de leur mise en œuvre, beaucoup plus que sur la solidité de leurs fondements. L’exemple le plus caricatural est celui du discours sur la « sécurité », comme si la France de 2008 était devenue plus dangereuse que celle de 1960, comme si les causes de la délinquance n’étaient dues qu’au libre-arbitre d’individus génétiquement programmés pour le mal, comme si les conditions sociales ne jouaient aucun rôle dans l’épanouissement de la personne, comme si la répression a parte post dispensait de toute critique sur les carences des politiques d’urbanisme menées a parte ante depuis un demi-siècle !
Traiter le sentiment d’insécurité n’est pas traiter l’insécurité, traiter les mineurs comme des adultes n’est pas traiter l’insécurité, enfermer dans l’espace criminogène de prisons scandaleusement surpeuplées n’est pas traiter l’insécurité ; avoir des juges à la botte de l’exécutif et critiqués pour un laxisme fantasmé n’est pas plus traiter l’insécurité que de mal utiliser le taux d’encadrement policier le plus élevé d’Europe.
La multiplication de lois répressives, la défiance à l’égard de la magistrature, une remise en cause de la qualité de sa formation, un parquet repris en main, une nouvelle carte judiciaire qui éloigne une institution, fondamentale dans un état civilisé, des justiciables, non sans d’évidentes manifestations de clientélisme et de complaisance politiques, en quoi est-ce répondre à des besoins vitaux du peuple français ?
Le pire dans l’histoire est évidemment qu’en faisant mine de toucher à ce que Gidden rangerait sans doute dans les life politics, on redéfinit réellement aussi un modèle social sans donner ni les tenants, ni les aboutissants de tels projets. Et la gauche n’a pas cru devoir non plus en donner les clés aux Français. Que dire de recours devant le Conseil constitutionnel rédigés sans y croire ?.
S’opposer pour proposer ?
On ne peut combattre efficacement une politique dont on adopte les points de vue. C’est donc précisément sur les points clés du programme régressif de la droite qu’il faut porter le fer pour en démontrer l’inanité et en démonter l’imposture. Mais cela suppose effectivement qu’un autre projet de société existe dans les têtes, comme moteur d’action et comme but à atteindre.
On ne reprochera pas au PS d’avoir oublié d’enfoncer le clou du paquet fiscal et du pouvoir d’achat ; montrer que le gouvernement ne s’intéresse pas vraiment au sort de tous les citoyens mais conduit sans honte une politique généreuse pour les plus riches et dure pour pratiquement toutes les autres catégories, quitte à en conforter par une propagande habile quelques unes dans leurs illusions, c’est un minimum pour une opposition crédible.
Mais, et c’est là que le déficit de travail de fond sur les idées se fait cruellement sentir, la critique n’est suivie ni d’une proposition appuyée sur un projet global pour le pays, y compris dans l’UE telle qu’elle est, ni même de la menace que la gauche en ce domaine aussi déferait le hold up sur les finances de l’Etat auquel la droite s’est livrée : car enfin, assécher les ressources, dire que le caisses sont vides, que le pays est en faillite et en profiter pour liquider des pans entiers des services publics pour confier au privé des activités qui supposent cependant une demande solvable, si ce n’est pas un détournement qu’est-ce donc?
Faut-il des périodes tragiques de l’histoire pour envisager des sanctions pénales contre de tels agissements ? Etre élu n’autorise pas à puiser dans les fonds publics et à distribuer la manne à ses amis, ni à priver sciemment de ressources un service public, comme l’audiovisuel public !
Le PS est-il à ce point englué dans un fonctionnement institutionnel qu’à des époques plus rudes et moins gangrenées par le « politiquement correct », on aurait sans hésiter qualifié de crétinisme parlementaire ? Il est vrai qu’immédiatement après l’élection de M.Sarkozy, le déclarer « légitime », sans que personne ait sollicité une telle sacralisation augurait mal d’une capacité de contestation générale de la politique que la droite voulait mettre en œuvre.
Or l’élection ne donne jamais qu’une légitimité partielle et n’autorise pas à brader des pans entiers de l’histoire, à casser les liens sociaux de solidarité et à faire disparaître la notion même d’intérêt général au profit d’une minorité de nantis. C’est précisément parce que M.Sarkozy se moque de l’intérêt général qu’il ne peut se targuer, pas plus que sa majorité avec lui, d’être légitime.
Un autre sujet d’affrontement possible est le détricotage du droit social, détricotage qui peut aller au point de laisser passer au niveau de l’UE des textes sans effet en France, si l’on en croit X.Bertrand, mais comment croire un homme qui piège les deux plus importantes confédérations du pays, et en fait dangereux, vu l’extraordinaire latitude laissée par des gouvernements inattentifs ou complices, à la Cour de justice européenne,
Mais les marches et contremarches de la campagne présidentielle sur les 35 heures ont rendu le PS incapable de réagir contre l’imbécile slogan : « travailler plus, pour gagner plus » ; aucune revalorisation du travail n’est cependant à attendre d’un gouvernement qui en préparant l’appauvrissement général des futurs retraités montre clairement qu’il ne considère pas la retraite comme un salaire continué quand il s’agit d’ouvrir des droits mais qu’il la tient pour telle quand il s’agit d’abaisser le coût global du travail et d’en distraire un peu plus encore de la redistribution de plus-value.
La diminution drastique du nombre de postes à l’Education nationale s’accompagne d’une baisse concomitante de l’offre de formation ; le leurre de l’accueil des élèves les jours de grève n’est pas à même de cacher que l’Education nationale, l’élévation générale des qualifications, l’investissement pour une économie de la connaissance ne constituent pas une priorité objective pour ce gouvernement. Aucun système complexe ne fonctionne mieux avec moins de moyens ; les personnels de l’Education nationale n’ont guère entendu le parti, qu’ils soutiennent majoritairement de leurs suffrages, dénoncer l’action dénaturée du ministre Darcos : est-ce parce que le PS a perdu le sens de la laïcité, de l’institution républicaine, de l’émancipation qu’apporte une instruction publique démocratisée ? Ou parce que le discours sur une gouvernance décentralisée, l’autonomie des établissements, qui n’est en fait qu’un renforcement d’une hiérarchie locale bien incapable de répandre partout le souffle généreux dont l’enseignement public a toujours été capable de donner maint exemple, fait tellement partie de la vulgate technocratique jamais mise en doute, que le parti n’a pas jugé bon d’en analyser les effets ?
Le combat est nécessaire, il suppose des outils
Quand on s’oppose à une politique globalement néfaste, on ne cherche pas à aider celui qui l’incarne et qui la conduit :or, sur deux points et non des moindres, le PS a manqué à cette règle simple ; sur la ratification du traité de Lisbonne, il a offert à M. Sarkozy un succès scandaleux, avec des arguments d’une pauvreté indigne d’un parti qui prétend porter une alternative et pas seulement une alternance ; les élus socialistes eussent été en accord avec l’avis majoritaire des Français et l’Europe ne s’en fût pas plus mal portée ; le deuxième point est celui de la révision constitutionnelle, pour laquelle des voix autorisées, issues de ses rangs, ont voulu faire croire que le président n’aurait aucun pouvoir de plus et que le rééquilibrage en faveur du parlement serait une chose certaine : l’examen de la pratique, avec la majorité telle qu’elle est, celle du président, montre qu’il s’agit là au mieux d’une erreur d’analyse, au pire d’une tromperie délibérée de l’opinion ; dans les deux cas, le renfort qu’apporterait l’approbation du projet gouvernemental disqualifierait le PS pour crédibiliser un futur changement !
DSK a cru devoir dire un jour qu’il n’avait plus de référence marxiste depuis longtemps ; nous ne sommes pas fétichistes, mais nous aimons savoir « d’où parlent » nos politiciens plus ou moins talentueux ; DSK n’ayant forgé aucun corps de doctrine et ne passant pas pour un expert en philosophie politique, penserait-il cependant exclusivement par lui-même ? A moins que, sauvé par ses œuvres, il invoque le FMI ? Mais tout l’appareil du PS ne vit pas à Washington ; alors que faire ?
N’étant, ni un pur fanatique, ni un pur satirique, contrairement à ce héros de G.K.Chesterton, qui « dans les jours sombres et tristes », juge nécessaires ces deux caractères, et en attendant que la pensée d’un intellectuel collectif reconstruit s’affiche, le signataire de ces lignes, toujours membre du PS, a jugé convenable et possible de signer la contribution initiée par Laurent Fabius.
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