Après le référendum irlandais et le sommet de Bruxelles très largement raté également, il semble qu’une bonne partie de la présidence tournante pour les 6 mois à venir, serait consacrée à la question institutionnelle puisque c’est le prochain sommet, en octobre, qui se penchera sur les conséquences possibles du vote populaire…
Cela pose une série de questions d’importance inégale mais toutes préoccupantes, voire inquiétantes.
Le programme annoncé :
Si l’on s’en tient à ce que le président de la République, le gouvernement, le débat tronqué et ridiculement court à l’Assemblée, les rapports de force politiques dans l’union ont affiché, l’Europe, c’est-à-dire les peuples d’Europe, n’ont rien de bien positif à entendre du semestre à venir.
La question de l’énergie, ou plutôt du coût des hydrocarbures et du gaz, au prix mystérieusement lié à celui du pétrole, pourrait être l’occasion d’une relance d’un programme d’équipement énergétique durable. Cependant si certains dirigeants politiques reviennent progressivement sur leur prévention à l’égard de l’énergie nucléaire, la question immédiate des taxes sur les carburants ne suscite ni chez tous les partenaires de la France, à la Commission une adhésion massive aux propositions d’harmonisation européenne. La question de la fiscalité fut d’ailleurs un ressort du vote irlandais.
Jacques Delors (JDD du 22/06/08) s’avoue scandalisé par le carrousel de pays autour de Poutine et Medvedev : « l’Europe se ridiculise » et il faut « bâtir d’urgence une Europe de l’énergie, à laquelle participeront les pays qui le veulent » ; c’est une bonne idée, sous réserve que l’approvisionnement énergétique et la sûreté de cet approvisionnement soient effectivement gérés d’abord dans l’intérêt des consommateurs européens et non pas comme source de profit pour fournisseurs ou distributeurs mis en concurrence, la concurrence en matière d ‘énergie restant assez peu crédible.
Il n’est pas certain, d’autre part, que les dirigeants de notre pays aient le souffle nécessaire pour mener à bien une telle entreprise, perdus qu’ils sont entre deux sondages, un coup de com et de sordides calculs électoralistes pour le redécoupage des circonscriptions ou le nouveau mode de scrutin des futures régionales !
Le contrôle des entrées de population, point fortement mis en avant par Nicolas Sarkozy, convient certes mieux à l’état d’esprit moyen des gouvernements et aux élus du Parlement européen, au point de voir celui-ci voter un projet de directive digne, disons, du gouvernement de Vichy et parfaitement déshonorant pour tous ceux qui l’ont conçu et approuvé. Curieusement il serait, dit-on, plus difficile de faire revoter le Parlement sur une proposition de directive si manifestement contraire aux droits de l’homme, que de désavouer le peuple irlandais en tenant son vote pour nul et non avenu !
Mais ce point même qui relève beaucoup plus de la monomanie idéologique que d’une prospective de développement et de progrès partagés du continent, ne répond en rien aux problèmes de l’emploi, du développement industriel, de la recherche fondamentale et appliquée, du pouvoir d’achat des salariés, d’harmonisation positive du droit du travail, qu’a suscité une vision fanatique de « la concurrence libre et non faussée », qui devrait, si l’on en croit ses sectateurs, fonctionner sans entraves pour optimiser le bien-être de tous !
Interrogé à l’issue de la réunion des chefs d’états et de gouvernements sur la protestation de plusieurs pays d’Amérique du Sud à propos du vote du Parlement, M. Sarkozy a répondu que cela n’avait pas été évoqué. Il est permis de douter que ce soit par attachement à la séparation des pouvoirs, notion parfaitement floue dans l’Union européenne…
Quelques rappels supplémentaires
Dans le programme de la présidence à venir, la question de l’énergie est couplée avec celle du climat : c’est donc fondamentalement de la politique qu’il faut faire, pour convaincre un certain nombre d’acteurs majeurs de l’économie mondiale, Australie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis, Inde que leur enrichissement propre ou leur développement, ni plus, ni moins légitime, que celui des pays d’Europe, doit s’inscrire dans une approche mondialisée du développement durable de la planète ; nous avons déjà connu des rencontres internationales et de beaux discours sur le sujet, mais c’est l’OMC, la Banque Mondiale ou le FMI qui font des propositions concrètes et immédiates alors que leur point de vue n’est pas, loin s’en faut, basé sur la nécessité de sauver la Terre, parce qu’« il y a le feu à la maison ! »
L’actualisation de la politique agricole commune devrait être l’occasion, avec la crise alimentaire que connaissent plusieurs milliards d’habitants de la planète, d’avouer que le tout marché ne répond correctement, quoique de manière inégalitaire, qu’aux besoins des consommateurs solvables ; là non plus ce n’est pas la FAO qui a les cartes en main au plan mondial.
Ce défi de civilisation devrait être pour l’Europe la remise en cause de ses propres orientations malthusiennes en matière de productions agricoles, de la recherche de bas prix, de la trop grande latitude laissée à la grande distribution, de l’opacité financière des échanges sur les matières premières agricoles…
Enfin, mais c’est dans un combat planétaire encore que l’Europe doit s’engager, la situation financière mondiale ne saurait être laissée de côté dans les mois à venir et c’est, une fois de plus, un échelon politique, et non pas celui des banques centrales, qui doit peser dans le sens d’un assainissement nécessaire ; or, nous savons tous que beaucoup d’opérateurs financiers feront de la résistance !
Lorsque le politique oublie, dans un système d’échanges ouvert, quelques principes de l’économie de marché, il peut être conduit à des révisions déchirantes, mais lorsque le politique se laisse dicter ses orientations fondamentales par les intérêts à court terme d’une poignée de dirigeants d’entreprises et de traders, il perd toute légitimité, nonobstant le matraquage publicitaire, le contrôle des media… et le storytelling en guise de réflexion publique ou de débat collectif.
Les données économiques sont d’autant moins des prescripteurs légitimes de politiques que le capitalisme actuel dans sa dimension financière et spéculative n’a pas pour objectif principal d’investir dans la production des biens et services ou la satisfaction des besoins humains, mais dans la rémunération des actionnaires et plus encore des managers.
Stock options, parachutes en or, rémunérations exorbitantes décidées en petits cercles d’initiés, opérations hasardeuses sur des produits financiers virtuels, tout montre qu’il ne suffit pas de demander des règles éthiques pour les fonds d’investissement, mais qu’il faut que l’impact sociétal de décisions prises par des individus à titre privé soit contrôlé par les instances responsables de l’ordre social, autrement dit les politiques élus.
Ce qui concrètement devrait signifier, pour les citoyens, pays par pays, qu’un politicien qui n’aurait pas en vue l’intérêt général mais le service de puissants « amis » doit être écarté.
On nous dira, peut-être, que l’intérêt général n’est pas compris de la même manière par tous et partout ; c’est sans doute vrai pour une minorité intéressée ou abusée, mais la majorité des composantes d’un peuple sait si une décision est destinée à améliorer son sort ou pas et les sondages, où l’on peut quelquefois trouver de bonnes questions, mettent régulièrement en évidence, que les salariés savent, par exemple, que les services publics participent de la mise en œuvre de l’intérêt général beaucoup plus fortement que les activités privées, dont ils n’ignorent pas en outre que certaines, et non des moindres, sont subventionnées par des deniers publics et pas seulement en France (éducation, santé, transports…).
Par rapport à des investissements globaux, personne de sensé ne trouve franchement normal qu’il soit impossible d’avoir en France un prix unique du km en chemin de fer ! C’est pourtant une des conséquences des décisions d’ouverture des réseaux imposée par l’Europe, avec le consentement des gouvernements, alors que la construction et l’entretien de ces réseaux relève de choix et de financements publics. Pour l’eau, s’il en va différemment puisqu’il n’y eut jamais de réseau « national », les consommateurs ont compris depuis longtemps que la concurrence libre et non faussée était à la fois un abus de langage et une justification d’évidentes exactions !
Mais dans nombre de pays du monde, l’eau est un enjeu de pouvoir et ce n’est pas être outrancièrement pessimiste que de penser que des guerres sont possibles à son sujet.
La question
Il s’agit en fait de savoir si une majorité de Français a confié les rênes du pays à un homme d’Etat, ou à un animateur de passage.
Il n’est pas certain que tous nos voisins aient pour l’homme le respect dévotieux des media français ; il n’est pas certain non plus que toutes ses prises de position apparaissent comme à l’unisson des préoccupations des dirigeants des gouvernements européens.
Si son atlantisme assumé, même s’il ne prononce pas le mot, ses gages à un président américain dévalué dans son propre pays, son activisme international ne choquent guère les gouvernements de droite ou néo-libéraux largement majoritaires en Europe, son initiative d’Union de la Méditerranée, insuffisamment étayée d’objectifs précis et d’étapes, a paru contradictoire avec ses engagements européens, pourtant confirmés par son empressement à faire ratifier par un parlement croupion le traité de Lisbonne.
Personne ne sait sur quelles orientations les questions évoquées plus haut pour les six prochains mois vont être abordées.
Le bilan d’un an de présidence et le marasme français, précisé par les prévisions de croissance, ne donnent pas un élan porteur qui pourrait entraîner nos partenaires.
Le risque est donc grand que, la période de vacances estivales aidant et diminuant en fait de deux mois la durée d’une présidence efficace, l’épisode européen à venir s’inscrive dans une stratégie de reconstruction d’une image présidentielle, beaucoup plus que dans la mise en avant de grands projets fédérateurs pour les peuples européens et utiles pour le progrès commun.
Les sondages ne manqueront pas, sauf imprévu évidemment, de noter une remontée de la cote de popularité de Nicolas Sarkozy.
Les politiques qu’il met en œuvre en France, de la RGPP à la casse du droit social, des cadeaux fiscaux pour une minorité à la pression continue sur les demandeurs d’emploi, rien ne permet de penser que cet acteur est en mesure de réconcilier les peuples avec un projet européen devenu illisible.
Et ce n’est pas prendre un grand risque que de dire que ni l’opposition politique, ni le mouvement social en France ne sont en mesure de l’y aider, encore moins de l’y forcer. A moins que….
Tous les guitaristes ne valent pas Eric Clapton, mais on peut raisonnablement attendre d’eux quelques accords tenus. Il en est de même des présidents, des élus et des citoyens. Après tout, il faut jouer pour savoir jouer…
JPB
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