Curopalates et thuriféraires, servants et domestiques du président s’évertuent, chacun avec plus ou moins de grâce, à justifier toutes ses initiatives et jusqu’à ce qui, chez n’importe qui, passerait pour une sottise.
M.Jospin revenu des enfers pense qu’il faut respecter la présidence ; beaucoup, plus rustres sans doute, veulent faire respecter le président.
Il nous faut donc distinguer le président, la présidence, l’homme, la fonction et savoir si la notion de respect a le même sens, voire si cette notion a du sens aujourd’hui en politique.
De quelques écarts...
On ne trouvera aucune difficulté à admettre que M. Sarkozy, en tant que personne physique, a droit au respect qu’un individu civilisé accorde à ses frères humains ; la question peut se poser de savoir si de sa part la réciproque est vraie. Il va de soi que, dans ce cas, on donnera au mot respect le sens banal d’abstention de tout ce qui peut porter atteinte à une personne ou à une règle.
M. Gallo, qui a sans doute voulu défendre le protecteur de l’auguste compagnie dans laquelle il a été élu, a cru devoir utiliser le vocable de sarkophobes pour désigner les critiques ou les détracteurs du président. Il a eu quelques peines à trouver de bons arguments et il s’est donc rabattu sur le compassionnel démagogique : M. Sarkozy n’est pas aimé des élites parce qu’il est fils d’immigré, parce qu’il n’est pas énarque, parce qu’il s’habille mal, parce qu’il n’a pas les codes…On a connu jadis M. Gallo mieux inspiré.
Quoi qu’il en soit, être sarkophobe ne saurait être assimilé à de la xénophobie ou à de l’homophobie, pour évoquer deux attitudes assez fréquentes dans le camp politique de notre « Petit Chose » élyséen. Pour la xénophobie, il ne s’agit pas seulement d’attitude mais de mise en œuvre d’une politique ; on a même créé un ministère de l’identité nationale, du moins il faut le croire puisqu’un ministre porte en porte le titre. Pour l’homophobie, il suffit de tolérer l’investiture d’un député UMP, condamné mais ainsi lavé.
Ce qui ne manquera pas d’interroger un citoyen un peu soucieux de rigueur ou de rationalité, c’est qu’il est difficile d’admettre que la manière du président serait toute de spontanéité et de naturel et que sa démarche serait effectivement de banaliser sa fonction.
Comment croire en effet qu’un animal politique assez efficace pour éliminer tous ses rivaux, s’emparer d’un parti et obtenir toutes les apparences d’une adhésion à son projet de refondation politique et sociale, ignorerait les conséquences de certains de ses gestes ? Pur cynisme et certitude d’être pour l’heure irremplaçable ? Risque assumé pour forcer le trait et réduire l’autorité du politique et renforcer le poids de la société civile, en l’espèce le poids des oligarques, héritiers ou prédateurs plus récents ? Autrement dit viol de la conscience collective pour changer de monde ? Révolution, en quelque sorte et non pas rupture.
On pourrait trouver quelques arguments à l’appui de cette thèse : réduction du champ du politique par la privatisation des services publics, décentralisation vers des collectivités territoriales qui ayant tendance à s’affirmer empièteront sur la sphère étatique nationale, dilution de l’idée nationale dans une gouvernance européenne irresponsable face à des citoyens dessaisis… Les contradictions que montreraient les velléités d’interventionnisme économique ou une politique de contrôle des entrées d’immigrants choisis pourraient être lues comme des aides à court terme au développement actuel des forces productives ou plus exactement des dirigeants du capitalisme français., voire comme de simples gesticulations à usage électoral.
Resteraient cependant le goût des breloques de luxe ou les invitations acceptées chez des amis fortunés sinon parfaitement en règle avec le fisc.
Autrement dit un choix essentiel, la liquidation programmée de la France, au sens où, par exemple un Charles De Gaulle l’entendait, et des détails secondaires, agaçants mais tolérables, les scories d’une éducation de petit bourgeois, apparemment moins sensible aux apports nécessaires d’une bonne culture classique que la totalité de ses prédécesseurs dans sa fonction.
… à quelques principes
S’il s’agit d’une remise en cause fondamentale, non seulement de l’équilibre des relations sociales dans notre pays, mais aussi et sans doute ceci passe-t-il par cela ? du rôle global de l’Etat, on est fondé à se poser la question de la légitimité de l’acteur de cette politique ; le même M. Gallo disait un soir dans un émission télévisée qu’une tentative de délégitimation du président était en marche.
La question est bien pour le politique, pour la politique et résiduellement pour la gent politique (ou politicienne), celle de la légitimité initiale.
La souveraineté nationale qui est dans chaque citoyen électeur, et pas seulement dans le corps électoral, est confisquée entre deux votations puisque rien ne permet de sanctionner des entorses au contrat qui délègue à un élu les pouvoirs qu’il va exercer. Le contrôle judiciaire ? Mais la séparation des pouvoirs n’est pas si parfaite, les élus nationaux en session sont intouchables sauf vote de leur propre assemblée, les Chambres des comptes régionales peuvent faire des ravages mais la Cour des Comptes reste de bon conseil, le président bénéficie d’un statut exorbitant d’immunité quasi totale, le grotesque achevé de cette loi de circonstance étant apparu, ô mânes de Napoléon, au moment du divorce du président ! .
Le Conseil constitutionnel réaffirme le principe civilisateur de non rétroactivité des lois ? Mais une majorité de godillots ou de crétins pourrait faire régresser l’état de droit par un vote à la majorité des 3/5, modifiant la Constitution sur ce point, et un référendum pourrait même l’accepter, montrant ainsi d’ailleurs au passage à quelle déchéance en serait arrivée la Grande Nation, porteuse des droits de l’homme.
Serait-ce légitime ? Notre attachement au principe de la loi morale, nous conduit à dire que non.
« Agis toujours en sorte que la maxime de ta volonté puisse être en même temps un principe valable de législation universelle » (Kant, Critique de la raison pratique, I,1,§7) .
On peut évidemment imaginer qu’un peuple se suicide collectivement en renonçant à son histoire, à sa culture et à la raison comme guide. Quelques corps intermédiaires dévoyés peuvent l’y conduire et la France a effectivement connu cela en juillet 1940. Mais en sommes nous là ?
Sylvie Pierre-Brossolette, qui porte un nom honorable et écrit dans Le Point, suggère que l’appel de M.Sarkozy au Premier Président de la Cour de Cassation était un signal pour l’opinion, une affirmation en faveur des victimes… C’est possible : cette pseudo empathie du président et de l’opinion, l’utilisation de la peur comme dérivatif à la grisaille quotidienne par les media, bref la manipulation idéologique font oublier la réalité statistique sur les cas de récidive (1% pour les crimes visés par la loi sur la rétention de sûreté), sur la possibilité d’avoir soi-même un proche touché, habitue à l’idée que la défense du corps social menacé justifie toute forme de répression, banalise la dérive sécuritaire et en prépare d’autres…On ne s’étonnera qu’à peine si, en même temps, le même président propose de dépénaliser le droit des affaires et de réduire le droit du travail !
Il est vrai aussi que l’injonction du Conseil, de s’assurer de la réalité de la dangerosité potentielle et d’un suivi médical antérieur approprié, met en évidence que le budget de la Justice en France fait de nos prisons des pourrissoirs au sens propre comme au sens figuré et nous vaut des condamnations régulières des instances européennes.
Le président de la République est le garant des institutions ; il est tout à fait évident que l’actuel occupant de l’Elysée n’a pas été élu pour changer la Constitution, palinodie européenne exclue. Il est non moins évident que ses électeurs n’ont pas validé la totalité de son programme ; « au deuxième tour on élimine ».
La question qui demeure c’est la nature de la fonction présidentielle dans un cadre normal de séparation des pouvoirs constitués :
S’il est le chef de l’exécutif, il doit avoir face à lui un parlement disposant de la réalité du pouvoir législatif : ce n’est pas le cas et les empiètements de l’exécutif sur l’ordre du jour ou la transcription en droit français des directives européennes ont réduit le parlement à la fonction peu enviable de chambre d’enregistrement, de défouloir inefficace ou d’écho plus ou moins tonitruant des secrètes pensées du président, d’opposants brimés ou d’extrémistes inconscients. Le bilan des deux dernières sessions permet de trouver des exemples des 3 possibilités.
S’il est le président de tous les français, l’expression étant évidemment piégeuse à souhait, cela suppose que tous les français soient respectés dans leur qualité de citoyens : ce n’est pas non plus le cas puisque depuis 10 mois les lois votées ont favorisé une partie de la population, et une seule, les possesseurs de patrimoine, ont aggravé la situation des salariés, y compris en matière de protection sociale (avec les franchises par exemple), ont violé un vote souverain à propos du traité de Lisbonne et portent atteinte gravement et de manière délibérée aux fondements de l’état de droit sur les questions de la laïcité et de l’exercice de la Justice.
Compte tenu de ses pouvoirs, extraordinaires dans les pays démocratiques, la fonction de président de la république suppose une certaine hauteur de vues, sinon elle peut conduire à un affrontement sans arbitre. Aujourd’hui il n’est donc pas évident du tout que la présidence soit respectable en soi, puisque tout dépend de ses conditions d’exercice.
Quant au président, il ne peut bénéficier que du degré de respect qu’inspirent ses initiatives et il est naturel qu’une fonction dévalorisée, dévalorise celui qui l’exerce.
Respecter, être respectable
La banalisation par l’individu, jusque dans des insultes et même, voire surtout, si M. Frêche trouve cela « sympathique », fait oublier qu’un Etat n’est pas un foyer, une entreprise ou un jouet ; il n’est pas non plus l’instrument d’oppression d’une classe sur une autre, car cette conception interrompt le continuum historique qui fonde précisément une identité nationale.
M. Sarkozy a d’évidence triché avec les principes ; cela ne peut durer.
« Le respect est un tribut que nous ne pouvons pas refuser au mérite » écrit notre philosophe. Mais le mérite est une valeur morale…
JPB